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« Ce soir, il vente fort : c’est ennuyeux, car le voilier n’a pas, je crois, une bonne stabilité, et je ne sais comment les ordres que je donnerai seront exécutés.

« … Les hommes rôdent autour de moi avec des yeux étranges. Il y en a un, Mathias, dont la manche m’a paru receler quelque chose d’anguleux ; ce doit être un couteau. C’est lui, peut-être, qui est désigné pour me frapper…

12 février. — Abomination, infamie ! Ma chèvre vient de succomber. Le mousse prétend qu’elle est morte de faim. Ce gamin ment. Il est certain que je surveillais sa nourriture pour qu’ils ne l’empoisonnent pas, mais elle avait assez à manger. Il est clair que la bande, sachant que, maintenant, pour être à l’abri de leur poison, je ne me nourrissais plus que du lait de ma chèvre, l’ont empoisonnée. Je suis à leur merci…, à moins de découvrir l’endroit où ils cachent l’arsenic.

« Sauvé ! Tout à l’heure, profitant de ce que le second est aux fers, je me suis glissé sans bruit dans sa chambre. Là, j’ai trouvé, dans la toilette, une poudre blanche un peu grasse qui doit être l’arsenic. J’ai pris cette boîte, je l’ai cachetée avec de la cire. À l’arrivée à Liverpool, je la remettrai aux magistrats.

13 février. — La nuit porte conseil. C’est toujours la nuit que les idées me viennent. Je souffre cruellement. On dirait que du plomb fondu me descend de la base du crâne aux reins… Enfin, je lutterai jusqu’au bout, face aux assassins… J’ai eu l’idée d’exiger de nouveaux aveux du pilotin. En somme, en y mettant le temps, j’arrive généralement à lui faire dire tout ce que je veux. Donc, armant mon revolver, j’ai prononcé ce seul mot : Parle !

« Il a répondu sans lever les. yeux : « Oui, capitaine, je parlerai… demain. Mais aujourd’hui, vous avez mieux à faire que de m’écouter. Je vous conseille de descendre dans la soute aux toiles de rechange. Comme on n’y va jamais, c’est là que les conjurés cachent leurs papiers, leur argent, et aussi les bouteilles de cognac qu’ils vous ont volées. » Puis, aussitôt, il s’est écrié : « Oh ! qu’ai-je dit ? … Gardez-moi le secret, sinon ils vont me tuer ; non, de grâce, n’y allez pas ! »

« Ah ! mais, au contraire, si ! je vais y aller et tout de suite. D’abord la mer grossit et d’ici une heure elle sera peut-être si forte que je ne pourrai plus descendre par la petite échelle de fer… »

Ces lignes sont les dernières que le capitaine ait écrites. La