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descendre à terre. Furieux, les hommes s’étaient promis qu’aussitôt sur la côte d’Amérique, ils rompraient leur engagement. On voit qu’ils avaient tenu parole.


— Il aura bien du mal, Roslyn, à recruter vingt-deux hommes et un officier, disaient en fumant leur pipe les stevedores du quai. Ce capitaine italien a une drôle de façon !

— Bah ! un Roslyn peut tout oser et toujours réussir. Avec ses poings à assommer un buffle, son œil effronté, il fait marcher comme des moutons les plus indisciplinés matelots. Ne sont-ce pas tous de grands enfans que les marins ? Celui qui sait les prendre en fait ce qu’il veut. Je vous dis, moi, que, lorsqu’il leur aura fait signer leur engagement, — et c’est une question de verres de wiskey, — il les conduira tous à bord sans recourir aux policemen. Quant à trouver un lieutenant, on paiera ce qu’il faudra, et voilà tout... Du reste, Roslyn n’est jamais embarrassé.

— Faut croire ! Vous savez comment il est parti de Sacramento ?

— Non.

— Eh bien ! là-bas, il avait fait tous les métiers, banquier, manager pour mineurs, etc. Il est intelligent, très débrouillard, mais joueur comme les cartes. Une nuit le faisait riche, mais la suivante le laissait sans le sou. A la fin, une partie d’enfer, qu’il avait engagée avec un propriétaire de mines du Colorado, lui rafla tout ce qu’il possédait, argent, marchandises, chevaux, jusqu’à sa montre, — bijou de grand prix. Il ne lui restait que son mobilier. Il proposa à son partenaire de le lui jouer contre 2 000 dollars.

— Allons donc, fit l’autre, mais vous êtes marié, mon cher, vous avez des enfans !... Où voulez-vous qu’ils gîtent, quand vous n’aurez plus de meubles ?

— Ça, c’est mon affaire, grogna Roslyn, mais, si je perds, je vous jure que demain, à midi, mon mobilier sera à la salle de vente.

— Soit ! comme vous voudrez, après tout, fit son adversaire.

On reprit les cartes. Au petit jour, Roslyn rentrait au logis, réveillait femme et enfans, en leur sifflant un petit air de sa façon, puis, flegmatique : « Lizzie, dit-il à sa femme, une Anglaise de bonne famille que sa tournure de forban, ses longs cheveux