Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présenté des interprétations captieuses, sollicité les textes, tour à tour avancé et reculé en tâtonnant dans des voies obliques, présenté en dernier ressort un projet d’arbitrage non moins inutile que tout le reste. Maintenant les Puissances se trouvaient acculées, soit à prendre des résolutions impérieuses et comminatoires dont leur prudence s’était toujours détournée, soit à accepter, sur l’injonction du gouvernement turc, le débat direct qu’elles avaient constamment éludé. Leur patience et leur amour-propre étaient soumis à une pénible épreuve.

Mais enfin leur amour de la paix était si grand et si sincère, le noble désir de conciliation dont s’était inspirée leur politique vacillante demeurait si tenace dans leurs conseils, qu’après en avoir quelque temps délibéré, elles se décidèrent à risquer cette négociation suprême, et à donner ainsi un dernier gage de bonne volonté. Elles en étaient loin à l’époque du Congrès et de la Conférence, mais le temps et l’expérience les avaient instruites, et d’ailleurs elles estimaient, avec un sentiment élevé de leur mission que, plus on est fort, plus il y a de dignité vraie à montrer de la condescendance et de la longanimité. On ne saurait que louer la résolution qu’elles prirent alors d’accueillir la demande légitime de la Porte, tout en se réservant, en cas d’échec, d’imposer une conclusion. « Le maintien de la paix, écrivait M. Barthélémy Saint-Hilaire à M. Tissot, nous paraît un intérêt si essentiel, que nous n’hésitons pas à faire l’épreuve du moyen qui s’offre aujourd’hui de travailler à un accord. » Il était clair toutefois que les Puissances n’entendaient pas se laisser jouer par la Porte : elles faisaient remarquer qu’elles comptaient de sa part sur des offres notablement plus larges que les précédentes, et ces expressions révélaient le fond de leur pensée. La Turquie devait se résigner à des cessions considérables, et la Grèce à des prétentions plus modestes ; sinon, l’Europe interviendrait de haut, selon son droit et son devoir : en un mot, l’heure de la transaction était venue.

Certes ces prévisions étaient justes, l’on se rapprochait du but ; mais, comme si, dans cette affaire, les meilleurs calculs dussent être constamment déjoués, ce n’était pas encore cette combinaison qui devait procurer le dénoûment. On voit par là combien on avait eu d’illusions en s’imaginant que la question pouvait être tranchée par un simple protocole du Congrès et en ne voyant pas qu’il fallait dès l’origine ou se concerter avec la Porte ou se résigner à une intervention vigoureuse. En vérité,