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une procédure qui, sous une autre forme, remettait en cause les décisions de Berlin. Je lui représentai alors avec conviction qu’il fallait sortir de l’impasse, que le refus d’une intervention bienveillante des Puissances compromettrait les meilleurs intérêts hellènes, qu’une telle défiance indisposerait toutes les Cours ; je lui démontrai en même temps que la transaction indispensable serait nécessairement avantageuse au royaume, et d’autant plus que la Grèce aurait augmenté les sympathies de l’Europe en accédant à son désir et se confiant à sa justice.

Le vieux ministre paraissait peu touché de ces raisonnemens ; il voyait avant tout que l’arbitrage, même le meilleur, réduirait la ligne de Berlin : sans doute, la Grèce serait agrandie, mais dans des proportions fort restreintes, et il envisageait beaucoup plus ce qu’elle n’aurait pas que ce qu’elle pourrait recevoir. Il persistait à soutenir que tout valait mieux pour elle que l’abandon de ses droits, et il épiloguait longuement sur les bases et les garanties de l’arbitrage. Sans m’arrêter à ces considérations rétrospectives, je le ramenai à l’état présent des choses, plaçant exclusivement sous ses yeux les biens réels qui lui étaient offerts, et en même temps les terribles hasards d’une lutte inégale contre la Turquie ; je fis appel à son patriotisme, en ajoutant qu’il risquait de perdre la proie pour l’ombre. J’obtins enfin, — et c’est tout ce que je pus faire, — une réponse dilatoire : il ne refusait pas, mais voulait attendre « ce que lui dirait l’Europe entière. » Je compris aussitôt que, d’une part, il n’entendait céder que devant notre volonté ferme et unanime, et que, d’autre part, il désirait savoir si la Porte, en repoussant l’arbitrage, ne lui épargnerait pas la peine de se résoudre.

Le ministre d’Allemagne, que je rencontrai au sortir de cet entretien, s’en montra fort satisfait ; il estima comme moi, que si la Turquie acceptait, M. Coumoundouros suivrait le mouvement : dans le cas contraire, peu nous importait sa décision. La grande affaire était qu’il ne m’eût pas opposé une fin de non-recevoir, et c’était bien en ce sens que j’avais manœuvré. Mes collègues furent de cet avis, se trouvèrent encouragés, et se mirent en campagne pour bien convaincre le président du Conseil de notre parfait accord, insister sur mes démonstrations, et empêcher que les conseils d’amis imprudens ou les injonctions de ses adversaires ne l’entraînassent à la négative. Nous réunîmes donc tous nos efforts, non seulement auprès de lui, mais auprès des principaux