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que les documens provoqués par nous-mêmes n’étaient qu’une « tentative de conciliation, » l’expression d’un désir platonique, « une sentence morale sans aucune force exécutoire, » en représentant ainsi l’Europe comme s’étant livrée à une simple phraséologie et à une sorte d’exercice oratoire, n’allions-nous pas au delà même de la pensée des Cours ? Était-ce à nous qu’il appartenait de contester la valeur des textes dont nous avions été les principaux auteurs ? Enfin, ne risquions-nous pas d’aggraver les difficultés présentes, en fournissant nous-mêmes à la Turquie des argumens qui semblaient justifier sa résistance, et en exaspérant l’opinion publique de la Grèce par des réticences qu’elle assimilait presque à un désaveu ?


VII

Il me paraît superflu d’insister davantage sur l’attitude de l’Europe en cette circonstance et sur ces dissertations réitérées, et je me borne à constater qu’elles rendirent beaucoup plus malaisés les pourparlers que nous devions poursuivre à Athènes. Elles suscitaient en effet, autour de nous, des sentimens fort nuisibles au succès de nos pacifiques efforts, car nous ne pouvions nous flatter un instant de faire accepter par le gouvernement grec dés raisonnemens qui infirmaient ses titres et compromettaient ses plus chères espérances. Quant à moi, obligé, par les directions instantes qui m’étaient adressées, de m’y référer dans mes entretiens avec le Roi et son ministre, je sentais que, malgré mes précautions oratoires et la haute courtoisie de mes interlocuteurs, l’esprit de Sa Majesté restait inaccessible et froidement sévère, et M. Coumoundouros m’opposait des réfutations passionnées et défiantes. Partout en Grèce, la conduite des Cabinets était appréciée en termes indignés, parfois ironiques : le pays devenait plus ombrageux que jamais et plus exalté : nos conseils n’étaient plus écoutés qu’avec une sourde colère et parfois des protestations impatientes : mes collègues craignaient des résolutions extrêmes et soudaines, et se heurtaient comme moi à des controverses obstinées. Les Puissances suivaient une fausse route. Il était impossible d’y persévérer, et urgent d’abandonner le mauvais terrain où l’on s’était placé : je ne cachais pas à mon gouvernement nos intenses inquiétudes.