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placés, s’il eût trouvé les autres Cours résolues à ne point s’en écarter. Mais, dans les quelques semaines qui suivirent son accession au pouvoir, le sentiment de l’Europe se trouva profondément modifié sous l’action de diverses causes. Les Cabinets ressentaient des inquiétudes de plus en plus vives sur l’issue de leur entreprise : la Porte repoussait les conclusions de la note collective du 25 août et affirmait avec un redoublement d’énergie ses droits souverains ; elle opposait à nos efforts une argumentation dilatoire, une force d’inertie particulièrement pernicieuse ; d’un autre côté, la conduite de la Grèce, l’irritation croissante des groupes politiques à Athènes autorisaient à redouter quelque tentative imprudente, et les Puissances émues, effrayées même des dispositions témoignées par les deux adversaires, recherchaient avec anxiété les moyens de conjurer une crise. Ce fut alors qu’avec le désir d’atténuer leur propre responsabilité, d’apaiser les susceptibilités de la Porte, de décourager les ambitions menaçantes de l’hellénisme et de préparer une transaction, elles s’attachèrent à étudier les élémens de ta question pour échapper, s’il était possible, par quelque subterfuge, à la pression des textes embarrassans. Le style pondéré de la diplomatie, les euphémismes traditionnels de son langage se prêtent toujours assez bien à des explications plus ou moins restrictives, soit des intentions, soit des termes. C’est ainsi qu’en soulevant des doutes sur la véritable pensée du Congrès et de la Conférence, et en usant de la flexibilité des expressions, les Puissances en étaient venues à considérer comme très vagues les actes qu’elles avaient signés. Déjà, au cours des pourparlers antérieurs à la Conférence, quelques incertitudes sur la portée réelle des documens du Congrès s’étaient glissées dans la discussion, mais on ne s’y était pas arrêté ; elles semblaient dissipées depuis qu’une nouvelle réunion avait développé et confirmé la pensée première. Ces appréciations incidentes et isolées furent cependant le point de départ d’un système qui transformait, par une série d’atténuations ingénieuses, la décision de Berlin en un conseil bienveillant, en un simple vœu optimiste et idéal, en une sorte de dissertation académique, et qui défigurait ainsi l’authenticité morale d’un jugement européen.

Jamais, sans doute, cette thèse n’a été l’objet d’une entente formelle entre les Cours, mais elle était devenue insensiblement une manière de programme d’autant plus volontiers admis que la situation se faisait plus critique et que les intérêts de la paix