Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/740

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On examinait cette proposition, que M. de Freycinet, sans la repousser absolument, estimait fâcheuse et inutile, lorsqu’un fait considérable et inattendu changea l’aspect des choses : en mai 1880, le Cabinet tory fut renversé. M. Gladstone prit la place de lord Beaconsfield, et lord Granville celle du marquis de Salisbury au Foreign Office. En ce qui concerne spécialement la question grecque, on peut dire que le rôle de ce dernier était épuisé : il était nécessaire que la diplomatie anglaise prît une attitude moins indécise et contribuât ainsi à préparer une solution urgente.

Le ministère whig eut le mérite d’apercevoir qu’on était un peu lassé par tant de pourparlers sans issue, et qu’il était temps pour l’Europe, aussi bien que pour les deux États intéressés, de substituer la médiation à des atermoiemens dangereux. Il alla donc droit au but et proposa : 1° l’envoi à la Porte d’une note collective la mettant en demeure d’exécuter le protocole ; 2° en cas de refus, la réunion d’une Conférence d’ambassadeurs, soit à Paris, soit à Berlin, assistée de délégués pour les travaux topographiques. Ce plan de campagne, qui simplifiait les choses et remettait aux Puissances la direction de l’affaire, fut immédiatement accueilli par les grandes Cours. Elles décidèrent, en outre, que les Cabinets d’Athènes et de Constantinople ne prendraient point part à la discussion et seraient seulement avisés de la convocation et des décisions des plénipotentiaires. On voulait éviter ainsi de remettre en présence la Grèce et la Turquie ; mais n’était-ce pas, et pour la seconde fois, trop présumer de l’autorité européenne ? Était-il correct de prétendre disposer d’un territoire sans se concerter avec la Puissance qui le possédait ? et, en laissant à la négociation son vice originel, n’allait-on pas au-devant des mêmes difficultés ? La Porte, il est vrai, acceptait la médiation, mais elle avait pris soin de réserver formellement « son indépendance et la liberté de ses propres délibérations : » notre ambassadeur à Constantinople prévenait qu’elle entendait maintenir ses offres dérisoires et qu’elle qualifiait de « suicide » l’abandon de l’Épire et de la Thessalie. Le Cabinet de Vienne demandait avec une anxiété prévoyante « comment les décisions de la Conférence seraient exécutées ? » Sans doute, l’Europe, en intervenant, mettait un terme à des pourparlers aléatoires et obscurs, mais il y avait bien des nuages à l’horizon.

Il faut reconnaître que M. de Freycinet les avait aperçus et s’efforçait au moins d’en diminuer le péril. Il pressentait et redoutait