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que celui de M. Coumoundouros, du moins presque égal à celui de M. Tricoupis, dont il devait être plus tard le rival souvent victorieux. Son auxiliaire à Berlin, M. Rangabé, poète célèbre et diplomate érudit, ministre du roi en Allemagne, s’y était concilié les sympathies générales par le charme et l’affabilité de son esprit. Lorsqu’ils furent introduits au palais Radziwill, pendant la neuvième séance du Congrès, la haute assemblée les accueillit avec une significative bienveillance.

M. Delyannis avait apporté un discours substantiel, préparé avec un soin extrême, et que j’ai inséré in extenso au protocole. Sans désavouer les aspirations théoriques de l’hellénisme, il y démontrait, en s’abstenant de toute digression aventureuse, les dangers de la situation présente et la nécessité, pour le royaume aussi bien que pour la paix orientale, d’un agrandissement du territoire constitué en 1830. Il ne pouvait négliger de parler de la Crète, dont la cause est si chère à son pays, mais il déclarait que son gouvernement, se bornant à demander les deux provinces limitrophes et cette île, reconnaissait que « c’était là, pour le moment, tout ce qui pouvait être fait pour lui. » Il terminait en priant instamment le Congrès « de mettre fin, par une annexion nécessaire, à un état de choses qui ne pouvait se prolonger. » M. Rangabé fit ensuite entendre, dans une rapide improvisation, quelques observations complémentaires sur les agitations permanentes que l’exiguïté du territoire et sa configuration défectueuse provoquaient chez une nation dont il rappela en termes émus les antiques souvenirs, les luttes héroïques et le génie civilisateur.

Les deux délégués se retirèrent sans que le grave et correct auditoire eût manifesté la moindre impression. Après leur départ, aucune parole relative à leurs discours ne fut même prononcée, et la séance se poursuivit sur d’autres sujets : mais, sous cette solennelle indifférence, il était facile de discerner que leur langage avait paru élevé et prudent, qu’on en avait apprécié les développemens patriotiques et modestes. En principe, le succès n’était pas douteux : il s’agissait, maintenant, de savoir quelles en seraient la mesure et les formes concrètes. Or, c’était là le point délicat. Le moment critique était venu.

On ne peut méconnaître ici qu’en réalité l’affaire avait été engagée dans des conditions fort incertaines. D’abord, les plénipotentiaires n’étaient pas bien fixés eux-mêmes sur la portée effective et pratique de leur ingérence : persuadés de leur autorité