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boxeurs et sociétés secrètes en chine.

les voisins, avertis du danger par ce signal, se mettaient, à leur tour, à battre le tam-tam ; la panique se propageait comme un incendie ; cela dura des mois, anéantit l’autorité des mandarins dans la province, et faillit causer une révolution.

Ces diableries-là, les Boxeurs les pratiquent. Les journaux ont signalé une des supercheries qu’ils employaient, au début de l’insurrection présente, pour frapper l’imagination populaire. Ils plaçaient, sur une éminence voisine d’un village, une escouade de leurs bons amis les réguliers chinois, compères dévoués et bien instruits. On engageait la bataille. L’officier des réguliers chargeait les fusils du premier rang avec des cartouches truquées. On tirait sur une centaine de Boxeurs, réunis au pied de la colline. Les balles du premier rang, en caoutchouc ou en bois tendre, laissaient leur marque sur les vêtemens des Boxeurs, les autres passaient en sifflant sur leur tête. Et les Boxeurs acquéraient ainsi, à bon marché, aux yeux des habitans du village, la précieuse réputation d’être invulnérables. Un Français, établi en Chine, nous apprend d’autre part qu’ils ont dans leurs rangs quelques prestidigitateurs fort habiles, qui, par exemple, se tirent dans la bouche un coup de pistolet, puis recrachent la balle. Ou bien ils font croire qu’ils peuvent à volonté s’enlever jusqu’au ciel…

Des sociétés ayant ainsi leur origine dans le fanatisme religieux, la superstition et la magie en arrivent forcément à vivre de la haine de l’étranger. Le Chinois voit dans l’étranger de l’Occident l’ennemi de ses croyances et de ses coutumes. Il le hait, et sa vanité proverbiale l’empêche de s’en laisser imposer par lui. Lorsqu’il est obligé de constater des inventions qui l’étonnent, il s’en tire en les attribuant à quelque sorcellerie. Un missionnaire du Sé-Tchouen me racontait, ces jours derniers, que les Chinois, qui le voyaient faire des photographies et retirer d’un simple verre des portraits ressemblans, s’imaginaient qu’il n’arrivait à un pareil résultat qu’au moyen d’une drogue fabriquée avec des yeux d’enfans chinois. De même ils attribuent la bravoure des soldats européens, quand ils la ressentent, à ce que ces barbares se sont donné du cœur en dévorant celui des petits Chinois Le Chinois seul est intelligent, seul beau, seul honnête : telle est la croyance populaire.

Ce sentiment, aussi naturel aux Chinois que l’habitude de respirer, est surexcité encore par les sociétés secrètes. Les plus importantes, celles qui offrent des types classiques, comme la Triade et le Nénuphar blanc, sont follement hostiles aux étrangers. Ce n’est pas sans raison qu’on leur a attribué les persécutions contre les missionnaires catho-