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amoncellemens de blocs, constituant des sortes de crêtes ou de monticules que l’on nomme des hummocks. La surface plane de la banquise est ainsi transformée en une surface accidentée, coupée de fissures, de fentes, et de chenaux, s’élargissant en rivières et en lacs.

Dans ces chenaux, le froid reforme bientôt une glace nouvelle qui réunit les fragmens séparés : la neige vient, à son tour, combler les interstices, celle qui se précipite des nuées, aussi bien que celle que le vent chasse comme une poussière. Et c’est ainsi que la banquise, perpétuellement en travail, se détruit et se reconstitue sans cesse.


C’est cette perpétuelle mobilité qui rend périlleuses, ou même totalement impossibles les longues excursions sur la banquise. Les hôtes de la Belgica en ont fait l’épreuve. Au plein cœur de l’hiver austral, c’est-à-dire au moment où la banquise atteint son plus haut degré de solidité, le 31 juillet 1898, le lieutenant Lecointe, avec un autre officier et le médecin du bord, résolurent de faire une excursion de huit jours. Ils préparèrent un bagage sommaire : quelques boîtes de conserves, une dizaine de litres d’alcool pour fondre la glace, une petite tente sur un traîneau. Les voilà partis. Dès la fin du premier jour ils sont arrêtés par une énorme crevasse large de plusieurs milles. Dans l’attente d’une poussée qui fermera cette brèche, les excursionnistes construisent près de ses bords une maison de neige. Le froid est vif ; il est de 35° au-dessous de zéro ; mais on n’en souffre pas, grâce à l’équipement. La situation ne se modifiant point et les provisions s’épuisant, il fallut songer au retour. Mais, cette fois, une brume épaisse couvre la banquise : on ne distingue rien à trois pas. On a perdu tout point de repère. Il faut se diriger avec la boussole. La situation devient inquiétante, car la brume est telle qu’un écart de quelques centaines de mètres suffirait pour faire passer la petite troupe à portée du navire sans le voir. La dernière nuit, il fallut camper, — et, à ce moment même, la banquise s’ouvrit, le champ se crevassa de toutes parts. Il n’y avait plus que de petites plaques. Celle qui porte les voyageurs, et qui est à peine assez grande pour permettre de dresser la tente, part à la dérive. C’est avec les plus grandes difficultés que les trois hommes purent regagner leur navire.