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C’était la victoire, et c’était la fin ! Au mois de janvier 1552, à la veille de la publication du Quart livre, — non pas après — Rabelais, pour des raisons que l’on ne sait pas, avait dû résigner, non seulement sa cure de Meudon, mais celle aussi de Saint-Christophe de Jambet, dont il était alors titulaire depuis près de dix ans. On s’est demandé, à ce sujet, s’il avait jamais exercé ses fonctions de curé de Meudon ; si seulement il avait jamais mis le pied à Meudon ; et, à cette question, qui n’aurait aucun intérêt si l’usage ne s’était établi d’appeler Rabelais « le joyeux curé de Meudon, » il semble bien qu’on doive répondre non. Nous ne ferons pas la plaisanterie « bien française » de le regretter ! et, au contraire, nous nous en féliciterons, comme d’un suffisant motif de ne pas discuter les anecdotes que l’on retrouve un peu partout, sur le séjour de Rabelais à Meudon. Autant en dirons-nous de celles qui courent sur sa mort, dont on ne connaît même pas la date, bien loin qu’on en puisse préciser les circonstances. Où s’est-il éteint, et quand ? en 1552, ou en 1553, ou en 1554 ? C’est ce que l’on ignore. Dans une lettre de Théodore de Bèze, approximativement datée de 1553, on lit cette phrase : Pantagruel cum suo libro quem fecit imprimere per favorem cardinalium, qui amant vivere[1] sicut ille loquebatur ; et de ce « loquebatur » on en a conclu qu’à cette date Rabelais était mort. Il aurait donc vécu soixante-dix ans, au compte de ceux qui le font naître en 1483, et seulement soixante-trois, au compte de ceux qui placent sa naissance en 1490.

Que tirerons-nous cependant de ce récit sommaire ? et du milieu de ces circonstances quelle est la nature ou l’espèce d’homme qui se dégage ? Dirons-nous qu’une telle vie a été bien remuante et bien agitée, pour être d’un « penseur ? » et ferons-nous d’abord observer que la méditation semble avoir ordinairement besoin de plus de silence autour d’elle ? Nous le pourrions sans doute, et encore qu’aucun de nous ne fasse, comme l’on dit, sa vie, mais plutôt la subisse, — les plus heureux sont ceux qui l’acceptent ! — Rabelais, qui n’a pas été le bouffon de la légende, n’a pas vécu de cette vie intérieure qui est en quelque sorte la condition de la pensée. Il a vagabondé à travers les opinions, comme à travers les livres, comme à travers les hommes. Et on voudrait assurément

  1. Ce qu’il y a d’amusant ici, c’est que, de ces cardinaux protecteurs de Rabelais, et qui « vivaient à sa manière, » le moins illustre, nous l’avons dit, n’est pas Chatillon, le frère de l’austère Coligny.