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du haut Laos, a été providentiellement préservée au centre des ruines. Les habitans de Nong-Khaye etde Vien-Tian sont des PouEuns ; ils nagent comme des poissons et vivent sur leur terrible fleuve comme sur terre. Ils fabriquent de grandes nasses d’osier et une foule d’engins de pêche d’invention fort ingénieuse, qui montrent les aptitudes et la merveilleuse habileté de ces peuples. Ils se livrent sur les berges à des cultures variées, et nous voyons s’étaler sous nos yeux des champs où l’oignon et le tabac tiennent une grande place, tandis qu’une centaine de crocodiles se jouent dans le fleuve et sur les roches, pour notre divertissement et pour la consommation des buffles morts.

La Fête des Eaux est, sur tout le Mékong, l’objet de réjouissances infinies. Telles les fêtes de Pnom-Penh, à la saison où l’épée du roi Norodom fait encore le simulacre de trancher le fil qui est censé retenir les eaux du bras occidental du Mékong. Les eaux de cette rivière offrent la particularité de changer, deux fois par an, le sens de leur cours. Pendant six mois de l’année, elles remontent dans le Grand Lac, ou Tonlé-Sap, immense réservoir créé par la nature, régulateur normal des inondations du delta ; et, pendant six autres mois, elles s’écoulent vers la Cochinchine, à la saison de la sécheresse, tandis que son fertile humus fait la richesse du Cambodge. Dans le pays de Vien-Tian et de Nong-Khaye, la Fête des Eaux est, le soir, plus particulièrement originale. On abandonne au fil de l’eau un grand nombre de torches que des pirogues emportent au milieu du Mékong. Ces torches sont habilement placées sur des morceaux de feuilles de bananier disposées en croix, puis allumées toutes au même moment avant de les confier au fleuve. C’est en réalité un sacrifice aux mânes des morts. Cet usage se retrouve dans presque toute l’Asie, particulièrement en Chine et au Turkestan. On prépare également un bateau en bambou entièrement couvert de ces mêmes torches, appelées kabongs, qui sont d’ailleurs le mode d’éclairage ordinairement employé pour circuler la nuit. Les kabongs sont en paille de riz trempée dans de l’huile de bois, et enveloppée dans une feuille d’aréquier. Ils passent en outre pour éloigner les pis, les mauvais esprits. Le Satou de la pagode de Wat-Maï, non content d’illuminer le fleuve, éclaire aussi les airs avec de petites montgolfières lumineuses, très ingénieusement combinées, et que l’on dit d’importation birmane.

La navigation en sécurité sur un bon bateau vapeur est chose