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de la province et le Chiaomuong, prince du Muong, qui viennent offrir leurs hommages et leurs souhaits, avec des bouquets et des corbeilles à Tane Madame, ce qui veut dire à peu près Son Excellence Madame. On donne à tous nos fonctionnaires le titre de Tane. On m’appelle aussi quelquefois en laotien Balone, c’est le nom honorable qui convient à une dame de distinction et d’âge : car, dans ces bons pays, l’âge est un titre d’honneur ! Les femmes des mandarins, et toutes les femmes après elles, m’apportent un grand nombre de hautes corbeilles de belles fleurs blanches de frangipanier, qu’elles montent agréablement en pyramides. Toute la maison en est pleine. Ces présens, qu’on ne sait plus où poser, tant il y en a de tous côtés, feraient la fortune d’un fleuriste. Il est, en vérité, impossible de voir peuple plus gracieux et plus aimable. Le soir, il y a boun (fête), au commissariat ; et tout Vien-Tian se presse dans les galeries et dans le hall-salon, pour regarder et pour fêter la première Française qui se soit arrêtée dans ce poste.

Le lendemain, il y a pique-nique à Tât-Luong (à quelques kilomètres de Vien-Tian), où l’on se rend à cheval avec tout le personnel et où l’on dispose table, vaisselle, verrerie, etc., sous un abri de bambou improvisé et tout fleuri. Des feuilles de cocotier, coupées et recourbées en arcades, forment une frange verte et se joignent à chaque montant en une gerbe de fleurs. On fait ces déménagemens en Orient plus aisément qu’on ne va chez nous de Paris à Saint-Cloud. Tout le village n’a pas manqué de venir faire fête autour de nous. C’est encore boun ; et nous causons, sans nous en soucier, au milieu des chants accompagnés de harpes et de mandolines laotiennes. Point n’est besoin de les écouter ; aussi un artiste vient-il jouer un nouvel air auprès d’un premier musicien, et un troisième auprès des deux autres, sans mécontenter personne. Le Laos est le pays de la liberté. En toutes choses, chacun fait ce qui lui plaît, mène sa vie comme il l’entend ; et les querelles sont aussi inconnues que dans le Luang-Prabang. La population n’est guère capable d’un grand effort, mais partout elle est douce, gaie, aimable au vrai sens du mot. Les enfans sont simples et bons. La race, comme nous l’avons dit, est solide ; mais, moitié plus forte que celle de l’Annamite, elle fournit moitié moins de travail.

Le Dagoba de Tât-Luong est un sanctuaire vénéré du Laos. La pyramide centrale, tout en ruines, est en réparation par les