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y avait d’heures à sonner, bref tant de merveilles et qui faisaient tant d’honneur à la ville qui les possédait, que pour empêcher l’inventeur d’en aller porter ailleurs la recette, la légende veut qu’on l’ait brûlé vif, à moins qu’on ne se soit contenté de lui crever les yeux.

Le sentiment qui domina ensuite, c’est la joie : joie de savoir enfin l’heure, de pouvoir mesurer le temps mal défini jusqu’alors par les cadrans solaires ou par les clepsydres et les sabliers. Elle éclate dans tous les attributs dont les artistes du moyen âge entourèrent les premières horloges. Ce n’est pas alors qu’on eût jamais pensé à leur donner pour attributs des dieux sombres comme les Parques ou le vieux Chronos. On n’aurait point pensé à leur donner pour épigrammes quelques-uns des tristes aphorismes antiques sur la brièveté des jours et la fuite de la jeunesse. Ces idées ne nous sont venues que plus tard, lorsque, blasés sur les services que rendait cette machine, nous nous sommes avisés de rechercher la moralité qu’elle contenait. Dans les premiers temps de l’invention, la connaissance de l’heure fut une bénédiction. Ce fut un mystère joyeux. La Vierge, les saints, l’Enfant Jésus, les Rois mages, telles furent les figures qu’on vit d’abord annoncer l’heure à Strasbourg comme à Iéna, à Lund, en Suède, comme à Lyon. Les dieux qui entourent le cadran sont des dieux rédempteurs. On n’y voit pas la Mort, avec sa faulx prête à faucher, mais les anges de l’Annonciation, le lys à la main, prêts à crier le miracle[1]. Dans une page de manuscrit du XVe siècle, que vous trouverez dans la Rétrospective de l’horlogerie (collection Planchon), vous verrez Dieu le père, assis sur son nuage, actionnant le marteau d’une horloge, pour prévenir un cadavre qu’il est temps de quitter le cercueil. Ce que l’horloge marque ainsi, c’est non l’heure de la mort, mais celle de la résurrection. Bien loin de la mettre au milieu des sombres Parques qui en aggravaient la sévérité, ou bien des Muses et des Grâces qui en font oublier l’enseignement, le moyen âge plaçait l’horloge parmi les saints, dans la main des vertus. Tout le monde est entré au pavillon de l’Espagne, dans la rue des Nations. On y voit ces tapisseries singulières qui semblent non pas des tissus, des fils d’or et de soie, mais des apparitions éteintes de

  1. On le voit encore, mais par exception, au XVIIIe siècle. Rétrospective de l’horlogerie. Gravure et description de l’horloge que Messieurs les comtes de Lyon ont fait faire dans l’église de Saint-Jean en 1680.