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une solution radicale ne serait point une solution. Si c’en était une, le raisonnement serait bref et catégorique. Puisque le parlementarisme semble n’avoir réussi nulle part dans l’Europe continentale, depuis une centaine d’années qu’on l’y a importé, et puisque, loin de s’y acclimater, il y va au contraire de mal en pis, restituons à l’Angleterre le présent funeste qu’elle nous a fait, et supprimons le parlementarisme. Mais venons-en alors, ou revenons-en à quoi ? Au bon tyran ? Objet rare qu’un bon tyran, et, même bon, il y a toujours à craindre que la tyrannie ne le gâte et qu’il ne devienne mauvais ! Puis désigné comment ? S’imposera-t-il, et sera-ce le Prince ? Sortira-t-il d’un plébiscite, et sera-ce César ? Mais, si c’est le Prince, quelle garantie qu’il soit bon ? Et si c’est César, quelle garantie qu’il soit le meilleur ? Le peuple, assemblé dans ses comices, qui se trompe en myope sur ses députés, ne se trompera-t-il pas en presbyte sur son maître ? Là où l’hérédité subsiste, cette dernière difficulté disparaît, et l’homme est tout trouvé ; mais l’autre difficulté demeure : sera-t-il bon ? le restera-t-il ? et s’il est mauvais ? Par lassitude du parlementarisme, tout remettre à un dictateur, l’instituer souverain en pleine et absolue souveraineté, ce serait retourner à une forme barbare, qui peut être africaine ou asiatique, et dont l’Orient tant bien que mal s’accommode encore, mais qui sûrement ne saurait convenir à l’Occident européen du XXe siècle. Cette première solution n’étant donc ni moderne, ni européenne, ni occidentale, ce n’est pas une solution.

La deuxième consisterait à chercher le remède dans l’extrême opposé, et, puisque le parlementarisme a échoué, de se passer du parlementarisme, sans se réfugier dans la dictature, en se jetant dans la démocratie directe. Le peuple, périodiquement et presque quotidiennement réuni, conduirait lui-même ses affaires, lui-même élirait tous ses magistrats, et ferait lui-même sa politique et sa législation. Il suffit d’énoncer cette proposition pour l’écarter, et, à en écrire seulement les termes, les objections jaillissent en quelque sorte sous la plume. Une, d’abord, qui dispense des autres : ce serait pratiquement impossible. C’était possible dans les républiques anciennes, qui n’étaient guère que de petites républiques urbaines avec une banlieue ; c’est possible en quelques cantons suisses, qui ne sont guère que de petites républiques de pâtres et de montagnards ; c’est impossible dans un grand État très centralisé, dans un grand État très civilisé, qui a une vie