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continentale, puisqu’en effet, que nous considérions ici ou là ce qu’on nous présente sous le nom de parlementarisme, nous assistons à un étrange spectacle. Qui ne se rappelle les scènes scandaleuses du Reichsrath autrichien, changé depuis quatre ans en arène par les querelles des nationalités ? l’obstruction opiniâtre à la loi Heinze, dans le Reichstag allemand ? les violences qui ont échauffé, à la Chambre belge des représentans, jusqu’à des discussions de leur nature plutôt académiques ? la résistance forcenée au décret-loi sur la sûreté publique à la Chambre des députés italienne ? les provocations et défis singuliers portés dans les Cortès espagnoles, à la suite des malheurs de Cuba et des Philippines ? Chez nous enfin, qui n’est édifié sur les mérites et les vertus de nos Chambres ?

Les accessoires classiques du régime, la sonnette, le verre d’eau, ne lui suffisent plus : il veut maintenant des sifflets à roulette, des trompettes d’enfant, des crécelles, bientôt des gourdins et des revolvers. Vu sans illusion et tout nu dans les Parlemens d’aujourd’hui, — à la distance et sous l’angle où le voient les foules, pour qui le parlement est tout le parlementarisme, — le parlementarisme n’est pas beau. On dirait que c’est entre tous les peuples comme une émulation à justifier la parole de Bismarck : « Je tuerai le parlementarisme par les parlemens ! » Et, selon les climats et les tempéramens, la maladie du parlementarisme s’envenime bien de telle ou telle complication locale, se révèle par tel ou tel symptôme particulier : comme il y a un parlementarisme prussien et un parlementarisme français, il y a une maladie prussienne et une maladie française du parlementarisme ; mais, comme aussi il y a, sous la différence des formes, un fond de parlementarisme partout le même, il y a, partout la même dans l’Europe continentale, une corruption du parlementarisme, qui procède des mêmes causes, se reconnaît aux mêmes signes, suit la même marche, et engendre les mêmes effets.

Partout dans l’Europe continentale, le parlementarisme se corrompt : 1° en ses sources ; 2° en son fonctionnement ; 3° en ses produits. Il se corrompt d’abord dans ses sources ou ses origines, car partout il repose en tout ou en partie sur l’élection ; mais partout il arrive que l’élection soit ou accaparée par les comités, ou captée par l’ingérence administrative, ou viciée par l’injure et la surenchère, ou falsifiée par la fraude, ou empoisonnée par l’argent, ou du moins creusée et vidée par l’abstention.