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et parfaitement libre dans le choix de ses conseillers, c’est-à-dire dans le choix des membres du Cabinet ; mais, en pratique, il les choisit parmi les membres des deux Chambres et suivant les indications fournies par l’état numérique, par la force respective et relative des partis.

En même temps donc qu’il est auprès du parlement le représentant du roi, le chef du Cabinet est aussi auprès du roi le représentant du parlement ; et en même temps donc qu’il est « le premier serviteur de Sa Majesté, » le premier ministre, en un certain sens, est aussi le premier serviteur de la majorité parlementaire — je suis leur chef, il faut bien que je les suive ! — mais, par là, par cette double qualité, persona duplex, il est soumis d’une part à la volonté du roi, d’autre part aux volontés du parlement. Soumis de part et d’autre à ces volontés, qui peuvent être concordantes, mais qui peuvent être divergentes, en sa double qualité de personne double, le chef du Cabinet porte devant un double maître ou un double juge, dans le parlementarisme pur, une double responsabilité. Il doit des comptes au roi, et des comptes au parlement. Il ne dure et ne se maintient que par la confiance du roi et par l’appui du parlement. Il a besoin de plaire au roi et de ne pas déplaire au parlement. S’il cesse de plaire au parlement, si le train-train des élections partielles déplace sa majorité parfois infime, ou si elle lui glisse des mains, si elle se dérobe sous lui, il tombe. En Angleterre, il est vrai, le nombre de ces chutes n’a point été scandaleux, et le parlementarisme n’y a pas trop usé ou dévoré les hommes ; — jetés à terre, ils se sont relevés ; tandis que ceux de gauche sortaient par la porte de gauche, ceux de droite rentraient par la porte de droite ; ceux-ci descendaient et ceux-là remontaient avec la régularité d’un mouvement de pendule, marquant ainsi le rythme qui convient à ce gouvernement d’équilibre ; et au total, à partir de Pitt, — 1783, — la Grande-Bretagne n’a guère connu qu’une vingtaine de premiers ministres. Mais cette modération des appétits parlementaires et cette faible consommation d’hommes d’Etat tiennent, on le répète, à des circonstances toutes spéciales, et notamment à celles-ci : que jusqu’à présent les partis, longtemps même réduits à deux, ont toujours été assez peu nombreux, assez disciplinés pour qu’il y eût dans les Chambres une majorité suffisante, compacte, exercée, une majorité certaine obéissant à un chef certain ; et que, — salutaire conjonction de deux destinées