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puissent marcher sans alliés sur Pékin et y arriver victorieux. La Chine est mieux armée aujourd’hui qu’elle ne l’était lors de la dernière guerre. Elle a accumulé des forces immenses entre Pékin et Tientsin. Tientsin a même, en ce moment, assez à faire pour se défendre. Il y aurait donc une grave imprudence à se mettre en route avant d’avoir sous la main toutes les forces déjà parties ou sur le point de partir pour Takou. La bonne volonté du Japon doit être utilisée comme celle de toutes les grandes puissances militaires ; mais elle ne peut pas être employée à l’exclusion des autres. Les troupes japonaises ont leur place marquée dans le corps d’armée international en formation ; mais les charger d’une mission spéciale est une idée tellement aventureuse que nous ne voulons pas croire, jusqu’à preuve du contraire, qu’elle se soit présentée à l’esprit du gouvernement anglais ; il est d’ailleurs le premier à la désavouer aujourd’hui.

Toutefois, les bruits qui ont couru à ce sujet ont permis de voir que l’accord des puissances, malgré sa sincérité actuelle, n’allait pas, de la part de quelques-unes d’entre elles, sans arrière-pensée. N’a-t-on pas dit que les Anglais voulaient se servir des Japonais pour faire contrepoids aux Russes, peut-être pour les supplanter ? N’a-t-on pas dit, d’autre part, que les Russes ne voyaient pas d’un œil rassuré le développement rapide des forces japonaises, et qu’ils n’étaient pas sans préoccupations au sujet des objectifs que le gouvernement de Tokio pouvait se proposer ? N’y a-t-il pas lieu de craindre que, un jour ou un autre, cette entente de l’Europe à laquelle tout le monde travaille en ce moment, et surtout que tout le monde proclame, ne subisse quelques épreuves ? Mais ce sont là, espérons-le du moins, des prévisions encore lointaines. Ce qu’il y a de tragique dans le mystère de Pékin doit nous réunir tous dans un même sentiment. Rétablissons d’abord par tous les moyens la paix chinoise. Quant aux luttes d’influence, il sera temps de nous y livrer quand nous aurons vengé l’honneur de la civilisation européenne et chrétienne, et sauvé ses représentans.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.