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contre le gaspillage de nos finances par le programme des palais scolaires et des chemins de fer électoraux. — Gouverner, c’est prévoir.

Comment ne comprenons-nous pas que, si la France a réalisé la conquête de la Cochinchine, celle du Tonkin et celle de Madagascar, c’est uniquement parce que la liberté des mers s’est trouvée garantie par l’état de paix ? L’Angleterre doit bien rire en sous-main : elle se rend sans doute compte que, si nous continuons à suivre les mêmes erremens, quand nous aurons employé nos richesses à de grands travaux d’assainissement, percé des routes, creusé des ports, élevé maintes fortifications sur les côtes de la grande Ile, au jour dit, la question de sa possession se résoudra dans la Méditerranée ; elle se détachera comme un fruit mûr, ainsi qu’il est arrivé autrefois pour les petites îles des Antilles.

Pas plus qu’au temps de Louis XV et de Louis XVI, la raison d’être des escadres n’est la défense directe du sol des colonies, la défense des arsenaux, celle des ports de commerce de la métropole ou de quelques points du littoral où il convient encore de maintenir des canons ; ce ne sont là que des accessoires ou des conséquences. La raison d’être des escadres est bien plus large : elle consiste à assurer la sécurité de la seule voie de communication qui puisse conduire aux colonies.

Il semble bon de le dire, en passant, à tous ceux qui président aux destinées de l’Algérie et de la Tunisie : en cas de guerre avec l’Angleterre, pas un soldat, pas un canon ne traverseront désormais la Méditerranée, si ce n’est par surprise ; tous les pointa seront gardés, et ces surprises seront bien rares.


Si on relit tout ce qui a été dit et écrit sur la question de l’armée coloniale, en se plaçant à ce point de vue qui nous paraît dominer tous les autres, on est surpris de constater la pauvreté des argumens présentés en faveur de son rattachement à la Guerre.

Après les flots d’éloquence versés devant la Chambre par le ministre compétent, par des représentans très autorisés de l’armée et par de nombreux orateurs, tous étrangers au métier de la mer, après des argumens irréfutables aux points de vue divers où ces orateurs ont cru devoir se placer, pouvait-on espérer que la compétence maritime et stratégique du Sénat replacerait la question sur son véritable terrain ? Évidemment non, et le principe du rattachement à la Guerre a été voté à une majorité écrasante, sans même que les marins de métier aient eu, officiellement tout au moins, à ouvrir la bouche.