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Pourquoi ces deux principes ne sont-ils pas depuis longtemps appliqués, et comment doit-on les comprendre ?

Survient la triste reculade de Fachoda !

Immédiatement l’opinion publique s’agite, la Presse et les Revues s’emparent de la question de l’armée coloniale, notre tempérament continental prend le dessus, et un écrivain distingué, M. Gandin de Villaine, dans le Gaulois, nous affirme que « c’est précisément parce que nous n’avons pas d’armée coloniale que nous avons subi la honte de Fachoda ! Pour que notre empire colonial ne se fût pas effondré au « premier coup de canon des Anglais, il aurait fallu, non pas des escadres qui, pas plus qu’au temps de Louis XIV et de Louis XV, ne défendront nos colonies, mais une défense coloniale bien préparée par un ministre et un état-major compétens, une organisation militaire assez puissante pour garder intacts les territoires de nos grandes possessions. »

Supposons qu’au moment de ces tristes événemens, une armée coloniale puissante et solidement organisée ait pu être transportée à Fachoda même, d’un coup de baguette féerique ; accordons, en outre, à notre flotte une ou deux victoires navales éclatantes, nous assurant momentanément la liberté de la Méditerranée. Nos cuirassés n’en eussent pas moins été contraints de rentrer dans nos arsenaux pour se réparer ; nous n’eussions plus disposé que de bâtimens trop anciens et trop démodés pour pouvoir les exposer, avec quelque chance de succès, à une troisième escadre anglaise composée de cuirassés modernes, frais et dispos, que l’Angleterre, grâce à son Naval Defence Act, eût encore pu mettre en ligne. La liberté des mers venant à nous faire défaut, le ravitaillement de l’armée de Fachoda serait devenu impossible : à la longue, elle eût inévitablement partagé le sort de l’armée de Bonaparte en Égypte.

Sommes-nous donc assez soldats pour ne pas comprendre que, si nous avons subi Fachoda, c’est parce que nous ne possédons pas la flotte indispensable pour nous faire craindre et respecter sur l’Océan ? C’est parce que le Cabinet qui a lancé le commandant Marchand à l’aventure n’a rien su prévoir des conséquences fatales du succès éventuel de sa mission ; c’est parce que, parmi tous les ministres qui se sont succédé à la rue Royale depuis vingt ans, il ne s’en est pas trouvé un seul qui ait osé réclamer, pour la flotte, les crédits nécessaires pour faire face à une situation qui devient tous les jours plus inquiétante par l’importance du temps perdu ; pas un seul n’a osé compromettre son portefeuille en protestant devant les Chambres