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Cette conception du rôle de la mer a été, est et restera toujours un des facteurs les plus importans de la terrible expansion de la race anglo-saxonne.

Par tempérament, l’Angleterre a donc toujours fait de bonne stratégie navale : elle a toujours visé, avant tout, à détruire l’ennemi flottant, chaque fois qu’elle a pu l’atteindre avec une supériorité de forces décisive, pendant que la France n’a jamais pu s’élever à la hauteur d’une conception si simple, mais si générale.

Ouvrons l’histoire. L’ouvrage du Captain Mahan de la marine américaine sur l’Influence de la puissance maritime dans l’histoire va nous servir de guide. En parcourant toutes les phases des opérations maritimes qui ont abouti à la perte du vaste empire colonial que possédait la France à la fin du XVIIIe siècle, nous constaterons toujours les mêmes fautes dérivant des mêmes erreurs de principe. Nos chefs d’escadre ont toujours négligé la destruction de l’ennemi flottant, pour poursuivre des buts de moindre importance première.

Nous ne nous arrêterons pas aux maréchaux de camp qui, sous Louis XV et Louis XVI, ont souvent commandé nos forces navales ; nous ne nous arrêterons pas même à d’Estaing, originaire du Cantal, ancien colonel d’infanterie, qui néglige en maintes circonstances d’écraser des forces anglaises inférieures en nombre à celles dont il dispose ; d’Estaing a expié toutes ses fautes par sa bravoure et par sa fin tragique. Nous ne voulons analyser ici que les manœuvres de l’amiral comte de Grasse, chef des escadres françaises et espagnoles coalisées, à la fin de la guerre de l’Indépendance américaine, contre les forces navales de l’Angleterre.


Le 29 avril 1781, de Grasse craint d’exposer son convoi, et ses 24 vaisseaux se bornent à échanger une canonnade à grande distance, avec les 18 vaisseaux de l’amiral Hood.

En février 1782, de Grasse s’estime satisfait de la capitulation de San-Christophe et, fort de 33 vaisseaux, il laisse échapper Hood qui ne peut en opposer que 22.

Le 9 avril 1782, avec les mêmes 33 vaisseaux, il évite de s’engager à fond contre l’avant-garde anglaise, que, par une heureuse faveur du destin, il rencontre isolée. C’est qu’une grande expédition combinée contre la Jamaïque a été décidée par la France et l’Espagne ; pour le Français et l’Espagnol, la mer est l’obstacle qu’il faut franchir rapidement sans s’attarder, sans surtout s’affaiblir par de vaines luttes nautiques.