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— Sire, répondit froidement le baron, votre royaume se dit chrétien, mais les mœurs y restent païennes.

Aussitôt se levèrent de leurs sièges, furieux, maints chevaliers, vainqueurs en d’innombrables batailles et tournois. Tour à tour rouges et pâles de colère, ils criaient :

— Malheur à nous ! Cet homme est notre hôte, et nous n’avons pas le droit de le provoquer !


Pressé de questions par le Roi, Kuno de Lichtenstein raconte alors qu’il a été attaqué la veille, en chemin, par un chevalier polonais. « Pourquoi ne l’avez-vous pas tué ? — demande le Roi au gentilhomme qui était chargé d’escorter l’envoyé teutonique. — Parce que sa tête appartient au Roi ! — L’avez-vous jeté en prison ? — Non, car il est noble, et a juré sur son honneur de chevalier qu’il comparaîtrait devant vous. — Mais il ne comparaîtra pas ! » — ajoute Lichtenstein avec un sourire de mépris.


À ce moment une jeune voix retentit, derrière le baron.

— C’est moi qui ai attaqué le chevalier allemand, moi, Zbyszko de Bogdaniec !

Aussitôt de nombreux convives coururent vers le malheureux Zbyszko ; mais ils furent arrêtés par un geste menaçant du Roi, dont la voix furieuse grondait comme les lourdes roues d’un char sur des pierres.

— Qu’on lui coupe la tête ! — mugissait le Roi ! — Qu’on donne sa tête au baron, afin qu’il l’envoie à Marienburg, au Grand Maître de l’Ordre !

— Toi, Yamont, empare-toi de lui ! — ajouta-t-il, s’adressant à un jeune prince lithuanien qu’il voyait debout près de Zbyszko.

Yamont, terrifié, posa sa main tremblante sur l’épaule de Zbyszko. Mais un vieillard à barbe blanche, Topor de Tenczyn, castellan de Cracovie, leva le bras, pour signifier qu’il allait parler. Tous se turent aussitôt, prêts à l’écouter.

— Sire, dit-il, le noble baron peut être assuré que non seulement la juste colère de Votre Majesté, mais que nos lois elles-mêmes savent punir de mort quiconque a l’audace d’outrager un ambassadeur. Nous ne voulons pas qu’il puisse croire que nous n’avons pas de lois chrétiennes, dans notre royaume. Demain, ainsi que le veut notre loi, je jugerai le coupable.

Puis, se tournant vers Yamont, il lui commanda, d’un ton sans réplique, de conduire Zbyszko dans la tour du château.

— Et toi, dit-il, seigneur de Taczew, tu auras à comparaître en qualité de témoin.

— Oui, certes, et je dirai en quoi a consisté l’offense faite au seigneur de Lichtenstein par cet enfant ! — déclara Powala de Taczew, en regardant fixement le chevalier de la croix.

— Il a raison, il a raison ! — s’écrièrent aussitôt plusieurs des convives. — Ce Zbyszko n’est rien qu’un enfant. Pourquoi la honte d’un enfantillage doit-elle rejaillir sur nous tous ?