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Rencontrant le chargé d’affaires de France, M. de Bourgoing, jeune officier qu’il traitait avec bienveillance, l’ayant eu sous ses ordres dans la campagne de Turquie... « Eh bien ! mon ami, quelle nouvelle ; voilà ce que c’est que l’exemple ! Je ne dis pas cela pour vous, quiètes, j’en suis sûr, aussi contrarié que moi, mais où va-t-on quand on commence ? » Puis il ne craignait pas de dire que rien ne serait arrivé si on l’avait écouté ! l’armée polonaise aurait été expédiée sur le Rhin et remplacée en Pologne par des réserves russes qui ne se seraient pas si aisément laissé faire. Il ne disait pas, ce qui était pourtant le fait, que la crainte d’être employés à faire la police à Cologne ou à Coblentz pendant que des Russes la feraient à Varsovie, était un des principaux moyens d’action exploités par les insurgés pour pousser les soldats polonais à la défection.

Ces premiers momens d’irritation passés, il prit sur lui et fit meilleure contenance. Passant, suivant son usage, la revue du bataillon qui montait chaque soir la garde devant son palais, il appela les officiers à faire cercle autour de lui et, leur racontant, avec une extrême animation, l’offense faite à Varsovie à la majesté impériale, il fit appel à leur dévouement pour la venger. Des transports d’enthousiasme lui répondirent, auxquels se mêlaient des cris de haine contre la Pologne, qui rappelaient les anciennes luttes de race et de religion. M. de Bourgoing, qui était présent, raconte que le gros du bataillon, trop éloigné pour entendre les paroles de l’Empereur et ne sachant pas bien de quoi il était question, ne se livra pas moins à de bruyantes manifestations. Ils croyaient sans doute, dit M. de Bourgoing, que l’Empereur venait d’annoncer le commencement de cette guerre contre la France dont on leur parlait chaque jour. A partir de ce moment, le mot d’ordre fut de dire que l’insurrection de Pologne n’était qu’une échauffourée qui serait réprimée en quelques semaines, et alors l’armée victorieuse, transportée d’avance sur la frontière, serait toute prête pour aborder le conflit désormais inévitable.

En attendant, cependant, ce résultat toujours douteux, il n’y avait plus lieu de presser davantage des alliés incertains à une action immédiate. On ne pouvait sérieusement pas demander à la Prusse d’aller faire face à la révolution en Belgique et en France pendant qu’elle la laisserait dans le dos contre elle-même en Pologne et qu’elle ne pourrait plus compter sur le puissant auxiliaire qui s’était jusque-là offert à elle avec empressement. Le roi