Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaître dans les feuilles publiques la mobilisation de son armée, parce que c’était la seule manière de faire savoir à la France et à l’Europe que les puissances alliées étaient prêtes à combattre en commun[1].

Effectivement, il multipliait et pressait ses armemens, à tel degré que ses ministres en étaient surpris, d’autant plus que ses résolutions paraissaient dans les gazettes de l’Empire sans qu’il eût pris soin de les en prévenir. Ce fut au point que le comte de Nesselrode, sérieusement inquiet d’un élan qu’il n’était pas lui- même en mesure ni en liberté d’arrêter, engagea en confidence le ministre de Prusse à représenter personnellement les motifs qu’avait son souverain de craindre et d’éviter une conflagration immédiate.

L’envoyé prussien entra dans cette pensée et remit à Nicolas lui-même une note manuscrite ayant véritablement la forme d’une apologie. Après avoir constaté l’effectif très faible de troupes dont la Prusse disposait pour défendre ses possessions de la rive gauche du Rhin, qui seraient certainement occupées sans effort par les troupes belges et françaises unies, il touchait à des considérations d’un ordre plus élevé, propres à surprendre et à faire réfléchir un maître enivré de son pouvoir et peu accoutumé à écouter d’autre langage que celui de la complaisance et de l’adulation. « Que l’Empereur, disait-il, ne se fasse pas l’illusion de croire qu’avec une armée qu’on peut appeler automatique, il puisse tenter une entreprise qui ne peut être accomplie que par une armée nationale animée d’un sentiment de nationalité patriotique, défendant chez elle ses foyers et ses biens (Haus und Herd), comme la Russie en a donné l’exemple après l’incendie de Moscou. En réalité, malgré le demi-million d’hommes que la Russie a mis alors en campagne, elle n’a jamais ajouté plus de cent cinquante mille hommes à l’armée des alliés, parce que, pour faire une véritable armée, il faut autre chose que des hommes. La France, si on vient l’attaquer chez elle, aura des moyens de défense qu’on ne peut calculer ; elle peut y ajouter la puissance des passions révolutionnaires. » « Dans une guerre d’agression, ajoutait-il, tous les dangers porteraient sur la Prusse et, dans la meilleure hypothèse, elle ne pourrait que préserver les frontières prussiennes et allemandes et cela, non au moyen des ressources

  1. Droysen, Document cité, p. 601 et 603.