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régimes déchus ? Ils lui représentaient qu’à travers le monde on aimait son génie, et qu’il était bien malséant à ses militaires de répondre aux déclarations d’amour en préparant des gestes de défensive. Ils lui rappelaient qu’elle avait été la première à briser les entraves féodales : elle devait être la première, aussi, à donner l’exemple d’abaisser les barrières nationales. Et ses armées, sans doute, avaient été vaincues, et ses muettes pensées s’attardaient à ce souvenir ; mais ils lui prouvaient que les armes étaient des engins brutaux de prépondérance, condamnés par la civilisation future, et qu’ainsi, ses défaites mêmes et l’abdication d’un espoir réparateur mettraient la France en tête de cette civilisation. Ils appelaient à leur secours, pour la mieux convaincre, le témoignage de ses expositions universelles : c’est d’elle qu’il dépendait, et d’elle seule, que Paris devînt l’emporium intellectuel de la planète. Il suffisait qu’elle laissât de côté l’archaïsme de l’idée nationale, et dès lors elle deviendrait à jamais le microcosme de l’humanité, et tous y collaboreraient. Prussiens, Anglais, Italiens : que la France écoulât leur voix, qu’elle acceptât leurs verdicts comme une loi, et ils se chargeaient de sa grandeur... Et la France écoutait, sans s’apercevoir que ces discours propageaient insensiblement deux germes contagieux.

Le premier, c’était cette idée que l’existence des groupemens appelés nations serait une sorte d’atteinte à l’intégrité du vaste lien social qui doit unir tous les hommes entre eux et qui est la conséquence de la fraternité humaine ; c’est pourquoi l’on parlait d’abaisser les frontières, comme si, précisément, l’existence même des nations ne garantissait pas, en chacun des êtres humains, la conscience permanente du lien social et des devoirs que nous impose ce lien, et comme si, pratiquement, les seuls effets à peu près que cette conscience peut avoir sur notre conduite n’étaient pas dus à l’insertion de notre vie dans ce cadre précis qu’on appelle nation !

Et l’autre germe funeste, c’était cette seconde idée que, dans l’état présent du monde, la suppression immédiate de l’institution militaire serait, pour le peuple qui en prendrait l’initiative, un progrès.

Remonter dans le passé jusqu’à ce que nous voyions sourdre ces deux doctrines ; suivre leurs cheminemens à travers les intelligences ; saisir les manèges qui leur peuvent donner prise sur un certain nombre d’âmes élevées et généreuses ; descendre avec