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très clémente de 1823 n’avait pu sauver la vie qu’à la condition de leur interdire le sol natal ; des Piémontais, dont Charles-Albert, après avoir été d’abord leur instigateur et leur complice, les ayant abandonnés, ne pouvait plus souffrir la présence dans ses États ; des Milanais, compagnons de captivité de Gonfalonieri et de Pellico, des Romagnols insurgés contre la domination pontificale, des patriotes allemands, objets de toutes les rigueurs de la Diète germanique pour avoir gardé trop de souvenirs des promesses libérales faites en 1813 ; enfin, des victimes portant la trace de plus anciennes et de plus profondes blessures, des Polonais pleurant l’unité de leur patrie.

L’état-major de la garde nationale de Paris devenait ainsi un champ d’asile, et comme une cour des miracles ouverte à tous les condamnés politiques d’Europe, sur le seul vu de la sentence qu’ils avaient pu encourir. On ne pourrait dire qu’on y conspirait, car ce n’est pas conspirer que de parler tout haut en annonçant ce qu’on va faire d’un ton menaçant et par de bruyans appels dans la presse ; mais on formait ostensiblement des groupes munis d’armes et enrégimentés d’avance, prêts à passer la frontière à l’abri du drapeau français, dès qu’aurait éclaté la guerre générale, dont on croyait la déclaration imminente ; et en attendant, on ne négligeait rien pour faire naître quelque incident de nature à la provoquer. Des rendez-vous étaient donnés à des amis prévenus d’avance, en Savoie, pour pénétrer en Italie ; à Bayonne ou à Perpignan, pour se faire ouvrir les portes d’Espagne. La Fayette, ou connaissait ces menées, ou les approuvait d’avance ; comment refuser sa sympathie à des coreligionnaires malheureux ? Il y allait de l’honneur de la France à ne pas les abandonner. Sur un point même, dans les Provinces Basques, l’appel fut devancé : quelques mouvemens insurrectionnels furent tentés et immédiatement réprimés par la police espagnole. Dans les papiers saisis sur les agitateurs arrêtés, on trouva des passeports français et d’autres preuves d’une participation d’agens de nos autorités municipales ou provinciales dont la nomination, surprise dans le désordre des premiers jours, était devenue irrévocable par la haute protection dont ils étaient couverts[1].

  1. Au sujet de cette tentative d’insurrection espagnole, qui eut lieu dès le mois d’octobre, avant même le changement ministériel, M. Louis Blanc, dans l’Histoire de dix ans, t. Il, p. 78, donne des détails dépourvus de toute vraisemblance et auxquels M. Dupin, t. II, p. 509, membre du premier ministère, oppose une dénégation formelle. Il convient pourtant qu’une somme de cent mille francs fut donnée aux insurgée à titre de secours par la cassette royale, à la demande instante de M. de La Fayette, transmise par M. Laffitte.