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ou cousins attachés au maréchal mon bisaïeul, dans l’armée de Condé, à qui on me faisait rendre de temps à autre une visite de complimens.

Par cet alliage de sentimens et d’habitudes d’origine diverse, il était à peu près seul de son espèce ; aussi les amis nombreux qui s’empressaient autour de lui en l’adulant, n’ayant pas l’imagination fixée aux mêmes souvenirs passés, ne bornaient pas non plus, comme lui, leurs espérances d’avenir. S’ils avaient accepté de sa main la monarchie pour lui agréer, ils entendaient bien qu’il la ferait marcher dans la voie qu’il lui avait tracée, et si (comme les hésitations du roi commençaient à le faire craindre) elle venait à trébucher et faiblir, aucun d’eux n’était prêt à lui tendre la main pour la soutenir. Ils formaient, en un mot, le noyau principal de ce qu’on appelait, comme j’ai dit, le parti du mouvement ; et ce qui rendait leur action très à craindre, c’est que parmi eux La Fayette avait dû choisir le personnel composant l’état-major général de toutes les gardes nationales de France, dont le commandement suprême lui était dévolu comme en 1789 : poste élevé qui lui était particulièrement cher parce qu’il lui rappelait ses beaux jours. Or, de toutes les qualités dont La Fayette passait pour être doué, la moindre assurément était la connaissance des hommes et le discernement des caractères. Pour entrer dans son intimité et avoir droit non seulement à sa confiance, mais à la distribution de ses généreuses largesses, il suffisait de faire une profession de foi à son goût, assaisonnée de complimens pour sa personne. À ce titre, on était classé dans le nombre des bons citoyens (prononcez le mot sans ouvrir l’o, à l’ancienne mode) auxquels il n’était plus permis de toucher. C’était assurément une grande complication que de voir placer à la tête de la milice chargée à ce moment, à peu près seule, de veiller à l’ordre menacé, tous les cerveaux brûlés qu’exalte une crise révolutionnaire et les intrigans de bas étage qui travaillent à l’entretenir pour en profiter.

Mais d’autres hôtes plus dangereux ne tardèrent pas à accourir, attirés par le bon accueil qui les attendait : c’étaient les réfugiés politiques de tous les pays, bannis de leur patrie, à la suite soit de la réaction de 1815, soit des mouvemens insurrectionnels tentés quelques années plus tard et que le poids de la coalition européenne avait fait partout avorter. Il y en avait de toute contrée et de toute couleur : des Espagnols, auxquels notre expédition