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donnent à leurs fantaisies où à leurs plaisirs. Nous n’avons plus d’autre champ de bataille que celui de nos querelles et de nos chasses, plus d’autres positions à disputer que notre place à table et au jeu du Roi. »

Ce n’est donc ni l’émigration, ni la fidélité des royalistes, ni l’habileté du prince qui ramenèrent les Bourbons. Leur exil n’eût pas pris fin, si pour eux n’eussent travaillé la Révolution et l’Empereur. C’est par ces irrésistibles auxiliaires que la légitimité, perdue comme son prince, fut portée, sans qu’elle s’aidât, dans son lit des Tuileries. Napoléon seul était assez fort pour se détruire. Au congrès de Châtillon encore, les souverains lui laissaient la France ; lui voulait toujours l’Europe : c’est son ambition, trop oublieuse de la leur, qui les obligea à le renverser pour se défendre, et ainsi le trône de France devint vacant.

Ce n’était pas assez pour le rendre aux Bourbons. Les royalistes s’agitaient en vain tant qu’ils furent seuls. Les hommes de la Révolution durent s’y mettre. Pour séparer l’Empereur de l’armée, il fallut un des généraux qui devaient leur fortune à la ruine de l’ancien régime, un élève du maître, Marmont. Pour séparer l’Empereur des pouvoirs publics, il fallut les anciens terroristes devenus sénateurs, les Jacobins devenus ducs, les révolutionnaires nantis qui voulaient du désastre national sauver leur bagage, sacs et parchemins. Sentant qu’ils avaient surtout à craindre les représailles de l’ancien régime, si par impossible il se rétablissait, ils jugèrent habile de devenir, eux aussi, légitimes en traitant avec la famille royale.

Bien que le livre où M. le marquis de Beauregard met ces vérités en relief s’achève avec la victoire, l’impression laissée par les confidences de l’exil n’est favorable ni aux émigrés ni à leurs princes.

Pour être juste, il faut ajouter que les partis comme les femmes ne sont pas toujours en beauté, et que l’émigration fut l’âge ingrat de la légitimité. Louis XVIII n’était pas apte à toutes les fortunes, et l’exil ne lui laissait que les défauts de ses qualités mêmes. Pour ne pas abjurer sa foi en son droit partout oublié, il lui fallait ne vivre que par le souvenir. La disproportion entre la grandeur de sa race et la misère de sa vie, son obstination à écarter les faits d’un geste impérieux et impuissant, son langage d’aîné aux plus grands souverains, son attention à célébrer dans sa chambre de proscrit les rites de Versailles, ne semblaient que