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sous Louis le Débonnaire, fils, frères et neveux rêvaient de grandir par son abaissement. Le Comte de Provence a sa cour, le Comte d’Artois la sienne, les Condés la leur. Lequel de ces princes agit en prince ? Les Condés, que leur naissance place près du trône sans espoir de l’occuper, montrent seuls une des qualités nécessaires pour le reprendre : ils savent tenir l’épée et exposer leur vie. Mais quel prince de sang royal vient recevoir sur les champs de bataille le salut de ceux qui vont mourir pour lui et joue vraiment sa vie pour sa propre cause ? Ils ne sont pourtant pas tous nécessaires à la perpétuité de la race et au gouvernement de la nation ! Et pas un ne songe que, dans les familles nombreuses comme la leur, les princes superflus pour la fonction royale sont une réserve pour les belles témérités, et qu’ils doivent payer, aux heures critiques, fût-ce par la mort, la rançon de leurs privilèges. Artois envoie partout de Londres des conseils d’audace ; Berry et Angoulême seraient prêts au courage, mais ils attendent que l’Europe les y invite. Quand Henri IV aurait-il conquis son royaume, s’il eût attendu la permission de l’Espagne et l’assentiment de l’Angleterre ?

Les petits-fils ont hérité de l’ancêtre la galanterie. Mais Henri IV y cherchait la distraction de ses victoires, eux l’oubli de toutes les défaites. Cette féminité, qui fut toujours la faiblesse des Bourbons, est, chez presque tous ces princes d’émigration, tout le signe de la race. Chez le vieux Condé du moins, l’amour ne fait pas tort à la bataille, mais le Comte d’Artois vit avec Mme de Polastron, si épris qu’il ne peut se séparer d’elle, et cette lâcheté de l’amour, qui seule éloignait des batailles le prince, rend suspect son courage de soldat. Le Comte de Provence lui-même, que la nature a désarmé de tentations, se donne le ridicule de galanteries semblables à sa royauté. La grandeur tragique de leurs maux déchoit dans la vulgaire immoralité de leurs mœurs, et ils ne semblent princes que par leur droit à vivre au-dessus du devoir. Ces habitudes que nulle pudeur ne cache donnent le ton à l’émigration, scandalisent l’Europe, et desservent auprès d’elle la noblesse française.

Même quand, à ces désordres, a succédé une sorte de régularité, que la princesse de Monaco est devenue princesse de Condé, que la mort de Mme de Polastron a rendu le Comte d’Artois tempérant et pieux, qu’il n’y a plus assez d’émigrés pour continuer les fautes militaires, que Louis XVIII conduit seul les