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Ni M. de Montsoreau, ni aucun de leurs amis, ni La Ferronnays même ne songent à rien de cela. L’intelligence, vive pourtant, de cette noblesse ne s’est plus exercée qu’à plaire et à railler, et a désappris de réfléchir. Les plus dévoués et les plus résolus courent à la guerre contre la Révolution, mais on ne sait ce qui l’emporte de leur bravoure ou de leur légèreté. Lisez les Souvenirs, S’agit-il de se battre, « on voit jusqu’aux malades se faire apporter sur des matelas. » Mais ils se battent moins pour le succès de leur cause que pour l’honneur de leur nom ; ils aiment de la guerre les dangers, pas la patience obscure et immobile. Au camp, il leur faut, comme à Versailles, l’esprit, les galanteries, le jeu. « Comme, par ordre du prince, les lumières du camp devaient s’éteindre à 10 heures, ils imaginaient de continuer leur pharaon à la clarté des vers luisans. » C’était encore obéir. Mais « jamais on n’est parvenu à les empêcher de courir aux lièvres et de les tuer avec leurs fusils de munition. » Dans leur marche de Volhynie à Constance, « personne, malgré les ordres du prince, n’allait à pied, sauf une petite escorte pour les drapeaux. » Comme les chevaux ne coûtaient presque rien, « chacun s’était pourvu, charmé par la perspective de faire désormais les étapes en voiture. Cela faisait sur les routes une file énorme de charrettes qui en entrant dans les villes débarquaient leurs soldats. Ils traversaient en bon ordre pour reprendre aussitôt après commodément leurs places. » Ils voulaient bien sacrifier leur vie, mais pas leurs aises, et prouvaient que les plus brillans officiers ne sont pas toujours les meilleurs soldats. L’origine aristocratique de cette armée faisait à la fois l’éclat de son courage et la faiblesse de sa discipline. Ils n’oubliaient pas qu’ils étaient des volontaires et des gentilshommes. Leurs chefs ne l’oubliaient pas davantage. La communauté de caste ruinait les degrés de la hiérarchie et les quartiers de noblesse comptaient autant que les grades.

L’affaire d’Oberkamlak met bien en relief tous les caractères de cette armée. Son chef, le prince de Condé, est sous les ordres de l’archiduc Charles et couvre la retraite des Autrichiens. Un mot de l’archiduc lui paraît jeter un doute sur la valeur française. Sans s’inquiéter des Autrichiens, il suspend de son autorité sa retraite, et veut « une bataille pour l’honneur ; » ses troupes chargées de tourner l’ennemi préfèrent l’attaquer de front ; décimées, elles s’obstinent malgré les ordres du Prince, trois fois envoyés ; il faut pour les décider à la retraite qu’elles aient reçu un billet autographe