Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi le retour de la fortune impériale, avait sous les yeux le peu qui reste des rois légitimes quand ils ont perdu la puissance.

Que Napoléon fût abandonné par la France, le pauvre ambassadeur ne s’en flattait plus. Ses tentatives pour réveiller chez les Français prisonniers de guerre la fidélité au Roi avaient été de toutes les plus décevantes. Les soldats vidaient à la santé de l’Empereur le vin qu’il leur offrait au nom du Roi. Les officiers, même les nobles, restaient « fascinés » par le grand homme. « La campagne dernière n’a en rien diminué l’idée que tous se font de son génie... Chez eux, du plus grand au plus petit, il ne reste pas le moindre souvenir des Bourbons. »

« De tous les moyens de trahir nos malheureux maîtres, disait La Ferronnays, le plus perfide est de les tromper sur l’opinion qu’on a de leurs personnes et de leurs actes. » Il ne rapporta donc rien à Louis XVIII que la vérité. Et, dans cette vérité, il n’y avait pas d’espérance.

Louis XVIII ne prit pas en mauvais gré l’insuccès ni la franchise. La certitude où il vivait que la légitimité ferait un jour son miracle et qu’une force supérieure aux hommes relèverait son trône le laissait imperturbable aux échecs. La Suède et la Russie ajournaient de se prononcer pour lui ? Elles seraient bien forcées d’y venir plus tard. Ses sujets l’oubliaient, étaient-ils moins ses sujets ? Son envoyé, parce que l’Europe et la France semblaient également indifférentes à la légitimité, avait cru l’avenir compromis ? C’était chose naturelle qu’un simple gentilhomme jugeât les choses d’après les vraisemblances, et n’eût pas les lumières d’un roi pour espérer contre toute espérance.

Moins d’un an après, le voyant avait raison, et jamais personne ne fut plus heureux de s’être trompé que La Ferronnays, le jour de 1814 où « il baisait, après vingt-trois ans d’exil, la terre natale. »


IV

En analysant le livre, je n’ai presque pas parlé de l’auteur. Mais un historien a-t-il à se plaindre quand il se fait si bien suivre qu’on ne trouve pas le temps de le louer ? Et n’est-ce pas la seule forme d’hommage que M. le marquis de Beauregard ait cherchée ? Plug d’un auteur célèbre ses héros pour se faire honneur à soi-même : M. le marquis de Beauregard n’est pas de ceux-là. Les