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à Louis XVIII présentaient comme sûr à l’égal d’Alexandre.

On se rappelle quel avait été, à son premier voyage en Suède, l’enthousiasme de La Ferronnays pour Gustave IV. On pourrait croire que ce souvenir le disposait mal pour Bernadotte. Non. S’il sait reconnaître et aimer ses princes même loin de leur trône, il aime aussi la puissance royale en soi, il la salue en tous ses dépositaires, et il les pare d’abord de toutes les bienfaisantes vertus qu’il voit en elle, quitte à se déjuger, car, si son premier coup d’œil est respectueux, le second est observateur. La Ferronnays a déjà reporté sur Bernadotte ce préjugé d’admiration qui est son premier sentiment envers toutes les têtes couronnées. « Impossible, écrit-il à son arrivée, de donner un plus beau caractère que celui que tout le monde à Stockholm accorde à Bernadotte. Voilà la troisième fois que j’aborde en Suède avec l’espoir d’y rencontrer un homme ; j’ai été un peu désappointé dans ma première attente, tout m’annonce qu’il en sera autrement cette fois. »

Il ne devait même pas voir celui qu’il célébrait d’avance. A Stockholm, il avait retrouvé des amis dans le monde de la Cour, et, le charme de sa personne aidant, il y fut aussitôt à la mode. Mais c’est en vain qu’il voulut mettre les succès de l’homme au service de l’ambassadeur ; tous les empressemens s’entendaient à lui fermer le chemin qu’il voulait s’ouvrir ; on eût dit qu’on s’ingéniait à adoucir sa déception en lui répondant fêtes quand il parlait d’audiences. Il lui fallut reconnaître, après quelques jours, que Bernadotte se dérobait. Un aide de camp du prince royal, tout en attestant les bonnes dispositions de son maître envers les Bourbons, exposa à La Ferronnays que leur cause était d’une impopularité sans égale en Suède, et que le prince ne pourrait, sans compromettre son propre avenir, se déclarer en ce moment pour eux. La Ferronnays vit ensuite l’homme le plus important à la Cour, M. Camps. Fils d’un marchand de parapluies et frère de lait de Bernadotte, il en avait suivi les opinions et la fortune, et celle-ci avait été si rapide qu’il n’avait pas eu le temps de dépouiller celles-là. Républicain au service d’un démagogue devenu prince, il continuait à nier dans un palais royal les droits héréditaires et tenait l’avènement de son chef au trône pour un triomphe de la Révolution sur la monarchie. Quand il reçut La Ferronnays, la vieille France et la France nouvelle se trouvèrent face à face. Et voici ce que la nouvelle fit entendre à l’ancienne :