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politesse accomplie, quel art d’accueillir et de repousser à la fois dans l’attitude des princes envers ce malheur indiscret ! Seul La Ferronnays se sent redevable et ému, se met à la disposition du souverain, et lui rend tous les bons offices que son cœur imagine. Et ce cœur royaliste continue à souffrir de ses affections, à découvrir dans les princes l’infirmité des hommes. Jusqu’au départ de Gustave IV, La Ferronnays passe sans cesse du respect à la pitié, tant cette infortune a de visages grimaçans ou tragiques, tant se succèdent et parfois s’associent la déraison dans ces actes et la grandeur dans cette folie ! Tous ces contrastes sont dans leurs adieux. Gustave veut laisser à La Ferronnays un souvenir. Il lui reste l’épée à poignée d’or qu’il portait aux jours heureux. Il l’offre à La Ferronnays. Mais, quand celui-ci va la prendre, Gustave recule, la serre entre ses bras comme pour la retenir : l’instinct royal repousse comme une impiété qu’une main étrangère se pose sur le dernier attribut de sa puissance. La Ferronnays supplie le prince de ne pas s’en dessaisir, le roi veut achever son sacrifice. Il la regarde une dernière fois, lui parle, lui demande pardon de n’avoir pas su mieux se servir d’elle, puis, après l’avoir baisée, la donne d’un geste impérieux, et s’enfuit en pleurant.


III

Si la foi de La Ferronnays en la monarchie était à l’épreuve de tous les désenchantemens que peuvent causer les princes, ces expériences n’avaient pas été perdues pour sa raison. Guéri des aventures, fussent-elles héroïques, il avait appris que les plus nobles sentimens, l’intrépidité du caractère, la religion des principes ne suffisent pas à rendre le trône et aident parfois à le perdre. Il comprenait que les souverains de l’Europe n’étaient pas des chevaliers armés pour la justice, mais des mandataires attentifs et calculateurs d’intérêts et d’égoïsmes nationaux. Il se rendait compte que, si les Bourbons, malgré leur droit, semblaient n’exister plus pour l’Europe, c’est qu’ils avaient cessé d’être une aide ou un embarras pour ces égoïsmes et ces intérêts. Il se persuadait que pour eux le plus sûr moyen de relever leurs chances était non de séduire ou de s’imposer par des actions d’éclat, — car on leur refuserait jusqu’à l’occasion de les accomplir, — mais de devenir les adversaires de la gloire faite homme en Napoléon ; de murmurer sans cesse à l’oreille de l’Europe que