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bien égale. Il avait été mêlé à de plus grands événemens ; il avait servi l’aînée des familles royales, et toujours la première, puisqu’elle avait cessé d’être la plus puissante pour devenir la plus malheureuse. M. le marquis de Beauregard a donc pensé que les récits d’un tel témoin méritaient d’être connus et le témoin lui-même de revivre. De là l’œuvre qui vient de paraître.

Y eût-il seulement dans ces pages le parfum de l’avril, le printemps d’un amour, la surprise, les jolies timidités, les angoisses silencieuses, puis la victoire de deux jeunes cœurs, et le roman d’une honnête aventure qu’on pourrait appeler l’idylle de l’émigration, le livre vaudrait d’être lu. Deux époux qui savent s’aimer et se le dire ne sont jamais banals. Ceux-ci moins que personne, à la fois si unis et si différens : lui, jeté sans cesse hors de sa paix domestique par le goût de l’action, aimant en homme, puisque à certaines heures le succès lui tiendrait lieu de bonheur, mais plus conscient de ce qu’il perd à mesure qu’il s’éloigne, sentant mieux à chaque échec de ses projets la blessure de sa tendresse, et finissant par revenir à tire-d’aile comme le pigeon de la fable ; elle, fixée pour jamais, vivant toute en celui qui emporte tout quand il s’éloigne et ramène tout quand il revient, plus atteinte par l’absence, mais sans une plainte parce qu’elle veut consoler, soigneuse, si des larmes s’échappent de ses yeux, qu’elles ne tombent pas sur son papier, et ne laissant jamais voir que l’héroïsme de son sourire. Mais ces deux époux ne sont pas si occupés d’eux-mêmes qu’ils ne regardent autour d’eux. L’égoïsme même de leur bonheur les tiendrait attentifs aux affaires publiques. Leur vie est emportée dans la grande tempête, leur avenir menacé par la Révolution, leur intérêt lié à la cause royale, leurs fonctions les attachent au Duc de Berry. S’ils ne dirigent pas, ils voient. Ils savent ce que leurs maîtres pensent, et que penser de leurs maîtres. Et, comme ils ne se cachent rien l’un à l’autre, il y a, dans leurs confidences de chaque jour, de curieux détails sur les faits, et le plus sincère des jugemens sur les personnages. Les lecteurs graves, qui n’ont pas de temps à perdre aux joies ou aux douleurs privées, et réservent leur attention aux misères des grands ou aux intérêts des peuples, ne seront pas les derniers à suivre ce jeune couple, car il traverse l’histoire et la raconte.