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resta de l’antique clientèle que ses formes extérieures. Elle ne consista plus guère que dans la salutatio du matin et dans la distribution de vivres ou d’argent, qui en était la suite. Ce sont des détails bien connus, mais dont il faut dire un mot, car Martial y revient sans cesse. Vers la première ou la seconde heure du jour (de 5 à 7 heures du matin), le client venait apporter son hommage au patron. Il devait donc, s’il demeurait loin, se lever avant l’aurore. Il lui fallait ensuite se vêtir de la toge, c’est-à-dire de l’habit de cérémonie. Or la toge est un vêtement fort incommode, surtout pendant l’été : Juvénal prétend que, dans les villes de l’Italie, où l’on ne se gêne pas, on ne la porte plus que quand on est mort, pour être enseveli décemment. Ainsi vêtu, il se met en route par les rues étroites et glissantes de la ville aux sept collines. Il a beau se presser, si son patron est un homme d’importance, il risque de trouver le vestibule rempli et la porte encombrée ; il lui faut alors intriguer auprès des esclaves, subir leurs rebuffades, leur donner la bonne-main, pour être placé au bon rang. Enfin, son tour arrive après bien des retards et des affronts, il est admis à défiler devant le maître, qui attend les visiteurs dans son atrium, et à lui faire un salut solennel. Il passe ensuite chez l’intendant, qui lui donne ce qu’on appelle la sportule. C’était un cadeau, qui paraît avoir varié, selon les temps, d’importance et de nature ; à ce moment, il consistait en une somme de 10 sesterces (deux francs à peu près). La sportule distribuée, la corvée n’était pas finie. Le patron était bien aise de montrer au public la cohue de ses cliens et de s’en faire honneur ; il monte en litière, pour aller au Forum, traînant après lui les malheureux, qui, les pieds dans la boue, avec leur toge crottée, se font un passage au milieu de la foule et le suivent comme ils peuvent. Ce n’est pas que le patron lui-même prît un grand plaisir à ces visites matinales ; il y paraissait souvent à moitié réveillé, et, tout engourdi de l’orgie de la veille, il avait peine à ouvrir les yeux et à répondre au salut qu’on lui faisait, mais il tenait beaucoup à cet hommage qui rappelait son ancienne importance et qui en était presque le dernier débris. On était sûr de lui causer un plaisir sensible en venant le matin grossir le cortège de ses cliens ; aussi y voyait-on même de grands personnages, quand ils avaient quelque service à lui demander, des préteurs, des consulaires, qui se mettaient sans façon dans la foule, et venaient recevoir la sportule.