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nelles ? Lis plutôt ceux où la vie semble te dire : Me voilà. Chez moi tu ne trouveras ni Centaures, ni Harpies, ni Gorgones ; mais à chaque page, l’homme y respire et vit. » L’homme, la vie, Homo, Vita, ces mots dont il se sert volontiers, sont ce qui caractérise le mieux son œuvre. Aucune autre, dans la littérature latine, n’est plus vivante et plus sincère. Il n’use guère des idées générales, qui sont le fond de la poésie de son temps ; il n’a jamais recours à ces descriptions vagues dont tout le monde se contente autour de lui. Tout se tourne, dans ses ouvrages, en détails exacts et précis. Il nous apprend heure par heure comment un grand seigneur emploie sa journée ; il nous guide successivement dans tous les quartiers où un parasite espère trouver quelqu’un qui l’invite à dîner : on pourrait refaire la route après lui. Quand il flâne par les rues de Rome, il note les gens qu’on y rencontre d’ordinaire, les marchands d’allumettes soufrées, ceux qui débitent des salaisons ou des pois chauds, ceux qui vont offrir dans les cabarets leurs saucisses fumantes, les mendians de toute espèce, depuis le petit juif que sa mère a dressé à demander l’aumône jusqu’au pauvre naufragé qui raconte d’une voix lamentable la tempête où il a pensé périr et montre le tableau qui la représente. C’est ainsi qu’il se complaît à énumérer les petits faits qui nous mettent sous les yeux la vie de tous les jours[1]. Stace agit autrement. Comme il souhaite avant tout élever et ennoblir son sujet, il évite le plus qu’il peut ces détails qui lui paraissent grossiers, et s’empresse d’avoir recours à quelqu’une de ces lourdes machines dont l’usage de la poésie épique lui a donné le goût, à propos d’un événement ordinaire, un départ ou une arrivée, un mariage, les embellissemens d’une villa, la construction d’un chemin public, il évoque les légendes antiques, fait paraître et parler les dieux, et nous jette résolument en dehors de la réalité. — C’est tout juste l’opposé de Martial.

Quant à Juvénal, on peut affirmer, quoique les apparences

  1. Il est naturel que ces peintures réelles de la vie d’autrefois qu’on trouve chez Martial aient rappelé souvent la vie d’aujourd’hui. Ces sortes d’applications se font d’elles-mêmes. On lit dans le Ménagiana : « Il n’y a point de poète latin où il y ait tant de choses qui puissent tomber dans la conversation que dans Martial. On y trouve tout. Là-dessus une personne me demanda un jour si j’y trouverais le manteau de M. de Varillas. Je répondis sur-le-champ et sans hésiter :
    Dimidiasque nates gallica palla tegit. »


    je prends cette citation dans l’Essai sur Trajan de M. De La Berge, qui contient une appréciation très juste et très fine de Martial.