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question chez lui des petits incidens des jeux publics, de la neige qui est tombée un jour au milieu de la représentation sans que l’Empereur ni le public aient quitté la place ; de cet acteur qui a joué le rôle de Mucius Scævola et qui tient si bravement sa main sur le brasier enflammé ; du lion qui mange son gardien et qui joue avec un petit lièvre qui s’est réfugié entre ses pattes ; joignez-y les bons mots qui courent la ville, des anecdotes galantes, et quelques obscénités, qu’on demande aux dames de ne pas écouter pour être sûr qu’elles tendent l’oreille afin de les mieux entendre.

On ne peut pas dire que Martial nous apprenne des choses très nouvelles sur la société de son temps : il n’était pas assez libre d’en parler comme il l’aurait voulu ; dans sa situation, ayant besoin de tout le monde, il ne devait s’exposer à blâmer personne, il proteste sans cesse contre ceux qui veulent trouver dans ses vers des allusions malicieuses ; ludimus innocue. Un homme si timoré ne pouvait pas être un observateur bien profond. De peur de se compromettre, il reste dans les généralités de la morale ordinaire, il attaque les avares et les prodigues, ceux qui ne font rien et celui qui fait trop de choses, le riche, qui laisse croire qu’il est pauvre de peur qu’il ne soit forcé d’être généreux, le pauvre qui veut passer pour riche, et qui, le soir, pour payer les dépenses de la journée, met son anneau en gage ; le parvenu insolent qui parle sans cesse de sa fortune, le coureur de testamens ; le parasite à la recherche d’un dîner ; le poète qui assassine tout le monde de ses vers, etc. Ce sont des figures vraies et vivantes, mais peu originales, et auxquelles il n’a pas donné beaucoup de relief. La peinture qu’il a faite des femmes n’est pas poussée au noir, comme chez Juvénal. Au fond, cependant, il les juge à peu près de même. On voit bien, à ce qu’il en dit, qu’elles se sont fort émancipées de la servitude et de la solitude d’autrefois, elles vont dans le monde, elles accompagnent leur mari dans les festins ; assises sur leurs hautes chaises, elles attendent les visiteurs, qui viennent leur apporter leurs hommages et leur apprendre les nouvelles. Ce qui fait leur indépendance, c’est qu’elles ont leur fortune à part, qu’elles gardent avec soin[1], afin de pouvoir l’emporter le jour du divorce, — et les divorces sont si fréquens ! Pour administrer leurs biens,

  1. Aux éloges que donne Martial à l’une d’elles qui a confondu sa fortune avec celle de son mari, on voit bien que c’était une très rare exception.