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que Martial, quoiqu’il fût toujours à la recherche de protecteurs, ne s’était pas encore adressé si haut. Vespasien était un bon bourgeois fort économe, et qui ne devait pas être d’humeur à faire beaucoup de frais pour encourager la poésie[1]. Les choses changèrent avec Titus, qui se piquait d’être un homme du monde et de cultiver les arts de la Grèce. Il promit à celui qui l’avait chanté des récompenses qu’il n’eut pas le temps de lui donner, car il mourut peu de temps après que les fêtes furent achevées. Naturellement Martial les réclama à son successeur. C’était Domitien, son frère, qu’on pouvait croire bien disposé pour la littérature, car il avait fait des vers dans sa jeunesse, et, selon Quintilien, « il n’avait cessé d’en faire que parce que les dieux ne trouvaient pas que ce fut une gloire suffisante pour lui, d’être le plus grand des poètes. » Martial espéra que la poésie avait enfin trouvé son Mécène, et dès lors il ne cessa d’accabler le prince de ses flatteries.

Une autre conséquence, et plus grave, de ce premier ouvrage, fut qu’il lui donna la pensée de publier tous ceux qu’il composerait dans la suite. Il avait dû faire un grand nombre d’épigrammes, depuis qu’il était à Home, et elles avaient eu beaucoup de succès, puisqu’en tête du premier livre de celles que nous possédons il dit : « qu’il est connu dans tout l’univers. » Pourquoi donc ne les avait-il pas réunies et publiées comme il l’a fait plus tard ? C’est sans doute qu’il n’attachait pas autant d’importance à ses œuvres avant d’avoir vu le cas qu’en faisaient les gens d’esprit. Elles étaient en général des pièces de circonstance, et il pouvait lui sembler qu’elles ne méritaient pas de survivre à ce qui leur avait donné l’occasion de naître[2]. Il ne s’adressait donc pas à un libraire : un jeune esclave, nommé Démétrius, scribe habile, qu’il avait chez lui, les recopiait de sa plus belle main, et elles étaient envoyées à celui pour qui elles étaient faites. Dès lors elles lui appartenaient, et Martial n’aurait peut-être pas jugé convenable de les aller reprendre. Naturellement

  1. Nous savons pourtant par Tacite qu’il fit un jour cadeau au poète Saléius Bassus de 500 000 sesterces (100 000 francs) ; mais ce (devait être une exception, car, dans le même chapitre, Tacite affirme que la poésie ne mène pas à la fortune.
  2. Il faut croire que cette opinion était générale puisqu’on blâma Stace d’avoir publié ses Silves, et qu’on trouva que c’était donner trop d’importance à des bagatelles ; et pourtant les Silves étaient des pièces de grande allure, qui avaient souvent la forme épique, et qui méritaient de vivre. Si l’on était si sévère pour elles, que ne devait-on pas penser des petites épigrammes de Martial ?