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fonde politique. Il s’agissait d’effacer le souvenir de Néron. Quoiqu’il fût mort depuis onze ans, le peuple ne l’oubliait pas, et le prestige de la nouvelle dynastie avait à souffrir de cette affection vivace. On aimait ce dernier descendant d’une grande race, non seulement pour les fêtes merveilleuses qu’il avait données, mais pour sa naissance, pour son faste, pour ses prodigalités, pour ses folles constructions qui flattaient les goûts de la multitude. Quoique Néron se prétendît un admirateur passionné de l’art grec, c’était bien un Romain. Il préférait la grandeur à la beauté, et il ne trouvait grand que ce qui dépassait les proportions ordinaires. La construction de son palais avait été son dernier caprice. Le Palatin lui semblait étroit, mesquin, encombré ; pour le rebâtir à son idée, il lui fallait un espace immense dont il fût absolument le maître. On prétendit qu’il avait mis le feu à Rome afin de se le procurer : cette expropriation expéditive avait l’avantage de le débarrasser non seulement des propriétés particulières, qu’il pouvait acquérir en les payant bien, mais des temples et des anciens édifices, qu’on lui aurait difficilement permis de détruire. Dans ce désert, il construisit sa maison, une maison tout étincelante de marbre et d’or, incrustée de diamans, meublée de chefs-d’œuvre, avec des salles dont les plafonds étaient mobiles et versaient des parfums et des fleurs. Mais voici en quoi consistait véritablement l’originalité de la construction. Il avait eu l’idée étrange de mettre au milieu de Rome tout ce qui constituait une riche villa romaine, — le château de Versailles sur la place du Carrousel. — Il y avait des champs, des parcs, des portiques, des forêts, des chasses ; au milieu, un vaste étang, entouré de bâtisses, comme une ville ; des bassins où l’on avait amené l’eau de mer d’Ostie (24 kilomètres) ; des fontaines où coulait l’eau sulfureuse qui venait de Tivoli. À l’entrée, une statue colossale du prince, haute de 120 pieds, accueillait les hôtes. Quand Néron mourut, tout était à peu près fini. L’empereur Othon, qui eut un moment l’idée d’y mettre la dernière main, prétendait qu’il n’en coûterait plus guère qu’une dizaine de millions de francs, — une bagatelle, — pour l’achever.

La construction de la Maison d’or, comme on l’appelait, avait fort irrité les gens riches, qui en faisaient les frais. À cette occasion, des vers malins furent crayonnés sur les murailles. « Rome, y lisait-on, est devenue l’habitation d’un seul homme. C’est le moment, citoyens, d’émigrer à Véies ; à moins que Véies lui-