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aide à nous expliquer le caractère de leurs ouvrages. C’est ce que je vais essayer de faire.


I

Nous ne savons pas exactement la date de la naissance de Martial. Ce doit être vers l’année 40 de notre ère[1], c’est-à-dire pendant que Caligula gouvernait l’empire. Il n’était pas Romain, ni même Italien d’origine, mais Espagnol ; et ceci mérite d’abord d’être remarqué.

La conquête de l’Espagne avait coûté près de deux siècles aux Romains ; c’est le pays qu’ils ont mis le plus de temps à soumettre. Mais, si la résistance avait été longue, la soumission, une fois acceptée, fut complète. Les haines s’apaisèrent rapidement, il ne resta plus de souvenir des anciennes luttes. Les Espagnols adoptèrent très vite les opinions, les usages, et même la langue de leurs vainqueurs. C’est du reste ce qui est arrivé à peu près partout. La facilité avec laquelle tout le monde occidental est devenu romain nous cause quelquefois un peu de surprise ; on l’a très bien expliqué en rappelant que la domination de Rome n’était pas tracassière ; qu’elle apportait aux vaincus des biens dont ils n’avaient jamais joui, le bien-être et la paix ; qu’enfin le sentiment de la nationalité n’avait jamais eu chez eux de fortes racines : ils formaient de petites peuplades, qui se détestaient entre elles et se réunissaient rarement ensemble pour s’opposer à l’ennemi commun. Ces cités, comme les appelaient les Romains, vivaient isolées les unes des autres et ne tenaient guère qu’à leurs libertés communales, dont Rome s’est toujours très bien accommodée.

Il n’y a pas de doute qu’en Espagne, aussi bien qu’ailleurs, la conquête des classes élevées n’ait été faite par l’école[2] ; et,

  1. Pour être plus précis, disons que Friedländer, dans son excellente édition de Martial, place sa naissance entre les années 38 et 41. J’ai beaucoup profité des travaux de Friedländer sur Martial, sur Juvénal, sur Pétrone, aussi bien que de son Histoire des mœurs romaines, d’Auguste aux Antonins (traduction française en 4 volumes chez Reinwald). C’est le savant aujourd’hui qui connaît le mieux la littérature des premiers temps de l’Empire et nous la fait le mieux connaître.
  2. C’est ce que j’ai déjà essayé de montrer à propos de la manière dont l’Afrique est devenue romaine. (Voyez la Revue du 15 novembre 1894.) En Espagne, l’importance de l’école avait été déjà entrevue par Sertorius, et Plutarque raconte avec quelle habileté il se servit de l’éducation pour habituer les Espagnols à vivre en bonne intelligence avec les Romains.