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LE POÈTE MARTIAL

On connaît fort peu Martial chez nous, et il faut avouer que c’est bien sa faute. Comme nous n’avons guère l’habitude de cultiver les auteurs anciens après que nous sommes sortis du collège, nous ne savons les noms que de ceux dont on nous a parlé quand nous faisions nos classes. Or, Martial n’est pas du nombre des poètes dont on entretienne volontiers les écoliers : ses ouvrages, si pleins d’esprit et d’agrément, contiennent des obscénités dégoûtantes, et l’on n’ose rien dire aux jeunes gens des jolies choses qui s’y trouvent, de peur de leur donner l’envie de lire le reste.

Ces obscénités ont chez lui un caractère particulièrement désagréable ; elles ne sont pas l’explosion d’une nature que les passions emportent et qui ne sait pas se contenir. Comme Ovide, Martial était un homme d’un très petit tempérament et fort maître de lui. Il croit se justifier en affirmant que, « si ses vers ne sont pas toujours honnêtes, sa vie a été irréprochable ; » il me semble qu’au contraire cette excuse se tourne contre lui. On lui en voudrait moins, si on le sentait entraîné par quelque tempête des sens à laquelle il ne peut résister, et on lui sait presque mauvais gré de l’honnêteté de sa vie, qui prouve qu’il a écrit toutes ses ordures de sang-froid.

Il est clair qu’en les accumulant ainsi dans ses œuvres il voulait plaire aux gens dont il quêtait les bonnes grâces, et ce fut bien en effet une des raisons de son succès. Il connaissait parfaitement la société dans laquelle il vivait et la servait selon ses goûts. S’il s’est trouvé de son temps quelques personnes pour le blâmer, on voit, à la manière dont il leur répond, que le nombre ne devait pas en être très grand, et que les reproches qu’on