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en Extrême-Orient ; mais ce jour n’est pas encore venu. Le Japon ne pourrait pas, aujourd’hui comme il y a quelques années, faire à lui seul la guerre à la Chine, et ce n’est d’ailleurs pas au moment où toute l’Europe est réunie à Takou, chaque puissance surveillant sa voisine, qu’une intervention isolée de sa part aurait quelque chance de succès. Il a tout avantage à rester dans une solidarité étroite avec les autres puissances et c’est bien ce qu’il fait. Quant aux États-Unis, leur politique a été jusqu’à ce jour assez mal définie à l’occasion des derniers incidens, et on peut même se demander s’ils en ont une. Ils ont paru éprouver quelque velléité de se tenir à l’écart des autres puissances, et de pratiquer ce qu’un homme d’État britannique appelait naguère un « splendide isolement, » ce qui est fort bien, si on ne veut rien faire, mais ce qui le serait sans doute un peu moins si on voulait faire quelque chose. Nous ne doutons pas que les États-Unis ne s’en rendent compte, et qu’ils ne marchent d’accord avec l’Europe : d’après les dernières nouvelles, ils auraient envoyé à Takou un détachement important. Pour des motifs différens, mais également suggestifs, la politique de concert et d’entente loyale se trouve aujourd’hui conforme à l’intérêt de tous, l’intérêt de chacun étant de ne pas compliquer et aggraver la situation actuelle par des prétentions prématurées, qu’il aurait d’ailleurs beaucoup de peine à soutenir.

C’est ainsi du moins que la situation paraît se présenter : mais comment se dissimuler qu’elle reste sur beaucoup de points fort obscure, et que son évolution prochaine échappe à tous les calculs de probabilité ? L’impératrice n’a pas préparé de longue main, dans le silence de son palais, un mouvement comme celui-ci sans en avoir prévu les conséquences, et il est à craindre que, ni la prise de Takou, ni la libération de Tien-Tsin, ni celle de l’amiral Seymour, ne suffisent à lui ouvrir les yeux sur le danger où elle s’est elle-même placée. Nous avons dit que nous restions sceptiques sur la mission de Li-Hong-Chang. Le plus vraisemblable est que l’effort que la Chine vient de tenter pour chasser les étrangers de son territoire, — car il s’agit évidemment de cela, — n’est pas encore près de prendre fin. Il faudra, de la part des puissances, un effort en sens contraire plus sérieux que celui qu’elles ont fait jusqu’ici pour atteindre le but qu’elles se proposent, si limité qu’il soit. Et, lorsque cet effort aura abouti, nous devrons tirer des événemens qui se déroulent un enseignement salutaire, à savoir que nous sommes en Chine dans une terre foncièrement inhospitalière, hostile, agressive, toujours prête à trembler sous nos pas et à se débarrasser de nos personnes, de notre propagande, de