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vaut qu’il la déclare par le renvoi de nos légations que par un acte plus criminel. Mais tout porte à croire qu’il se propose plutôt de la faire sans la déclarer, afin de ne pas se compromettre encore d’une manière irrémédiable. A cet égard, la mission qu’a reçue Li-Hong-Chang, ou qu’il s’est donnée, est significative. Li-Hong-Chang est le seul homme politique chinois qui soit connu dans le monde entier ; on se rappelle qu’il en a fait récemment le tour et s’est montré dans les principales capitales de l’Europe. Il est difficile de croire qu’un homme d’une aussi réelle intelligence ait conservé tous les préjugés de sa race. C’est un Chinois à moitié européanisé, non par les mœurs, mais par l’esprit. Aussi est-il devenu suspect à l’impératrice et à son entourage. Le vieux parti chinois, après avoir établi sa prédominance, a vu en lui avec impatience, sinon un obstacle, au moins un censeur incommode et dont il fallait se débarrasser. On l’a nommé vice-roi de Canton pour l’éloigner de Pékin. Cette mesure, au moment où elle a été prise, a été présentée comme une satisfaction qui nous était donnée, et nous lui avons nous-mêmes attribué ce caractère. L’ancien vice-roi de Canton s’était toujours conduit à notre égard comme un ennemi irréconciliable : il entretenait une agitation continuelle dans une des provinces qui confinent au Tonkin. Depuis son remplacement par Li-Hong-Chang, la situation s’est détendue et améliorée. Pour tous ces motifs, Li est considéré comme partisan de la conciliation avec l’Europe. La nouvelle qu’il était appelé à Pékin par sa souveraine a donc été regardée comme un acte significatif, qui indiquait un retour à des sentimens plus modérés, ou peut-être seulement de l’hésitation. Mais l’hésitation même était un symptôme moins pessimiste. Il ne faudrait pourtant pas trop s’y fier. D’abord Li-Hong-Chang n’a pas encore quitté Canton, et il ne parait même montrer aucun empressement à le faire. Ensuite, avant de se rendre à l’appel de l’impératrice, il a entamé avec l’Europe des négociations assez singulières. Il a fait demander aux ministres des Affaires étrangères des grandes puissances s’ils ne consentiraient pas à regarder l’incident de Takou comme un simple malentendu. Le gouvernement chinois, à l’en croire, n’aurait nullement donné aux troupes qui occupaient la place l’ordre de tirer : il pourrait dès lors les désavouer. Soit ; mais il resterait à désavouer aussi toute l’armée qui a assiégé Tien-Tsin et enveloppé l’amiral Seymour. Le gouvernement chinois le ferait-il ? La fiction serait un peu forte. Les gouvernemens ont répondu, parait-il, aux ouvertures de Li-Hong-Chang, qu’ils ne discuteraient pas l’interprétation que l’on donnerait, à Pékin, à l’événement de Takou, sous réserve, bien entendu,