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Des plantes qui luisaient au gazon du jardin.
On était attendri de voir que, sans dédain,
Les arbres supportaient autour des branches torses
Les petites fourmis qui couraient sur l’écorce.
Le bois jetait au loin ses parfums et son bruit ;
Comme les pépins sont enveloppés du fruit
Nos cœurs étaient vêtus de ta chair odorante.
Tu ne faisais pas peur, Nature aux mains offrantes.
Notre candeur plaisait à ta simplicité ;
Tu nous laissais jouer sans crainte avec l’été
Et mordre tes bourgeons, ton herbe, ton feuillage
Comme font les chevreaux qu’on mène au pâturage.
Parfois dans la douceur auguste de ta paix
Une branche de ronce ou de mûrier rompait.
Quand nous avions beaucoup parcouru les ravines,
On ne se faisait pas de mal à tes épines.
On pressait contre soi la haie et le buisson
Pour détacher la feuille où le colimaçon
Avait posé sa ronde et luisante coquille.
On cueillait tes pavots, tes bleuets, tes jonquilles,
On croyait que ton ciel et que ton mois de mai
Avaient un cœur soigneux et chaud qui nous aimait.
Et que ton âme simple et bonne était encline
A fleurir et verdir les petites collines ;
On vivait confiant et serré contre toi
Comme les nids qui sont au soleil sous les toits...

— Et puis, un jour, j’ai vu comment allait le monde,
J’ai vu que votre tâche était d’être féconde.
Que vous étiez sans cœur, sans amour, sans pitié ;
J’ai voulu détourner de vous mon amitié
Pour venir contempler la conscience humaine.
Je pensais qu’elle était un lumineux domaine
Où fleurissaient la loi clémente et l’équité.
— J’ai connu que le mal emplissait les cités
Que l’homme était sévère et dur aux misérables,
Que vos bois de sapins et vos bouquets d’érables,
Vos tiges de froment, d’orge et de sarrasin,
La feuille du figuier vivace et du raisin
Faisaient plus d’ombre à l’âme orgueilleuse et blessée,