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Accoutumer ses yeux, son vouloir et ses mains
A tenter le bonheur que le risque accompagne ;
Habiter le sommet des sentimens humains
Où l’air est âpre et vif comme sur la montagne,

Être ainsi que la lune et le soleil levant
Les hôtes du jour d’or et de la nuit limpide ;
Être le bois touffu qui lutte dans le vent
Et les flots écumeux que l’ouragan dévide !

La joie et la douleur sont de grands compagnons,
Mon âme qui contient leurs battemens farouches
Est comme une pelouse où marchent des lions...
J’ai le goût de l’azur et du vent dans la bouche.

Et c’est aussi l’extase et la pleine vigueur
Que de mourir un soir, vivace, inassouvie,
Lorsque le désir est plus large que le cœur
Et le plaisir plus rude et plus fort que la vie...



LA NATURE ET L’HOMME


Nature, je reviens à vous sur toutes choses.
Je vous revois, je vous reprends, je me repose
Comme un promeneur las retrouve sa maison,
— Je ne veux plus aimer que vos quatre saisons
Qui sont toute la joie et toute l’innocence ;
Nature, rendez-nous les matins de l’enfance ;
La vie était heureuse et pleine de vigueur,
L’air abondant et vif se donnait comme un cœur ;
La route était si grande et pourtant familière.
Au travers des fourrés et des fossés, le lierre
Se traînait pour venir ramper sur le chemin ;
L’herbe fleurie était à la hauteur des mains.
On était près du champ, du sable, des insectes ;
Le buisson de lilas que la rosée humecte
Laissait pleuvoir sur nous ses bourgeons et son eau,
On était un feuillage où chantaient des oiseaux ;
A force de toucher et d’aimer la verdure
On connaissait très bien toutes les découpures