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et se rendant à la mairie, après avoir vendu ses journaux, durent se dire comme l’huissier des Tuileries introduisant le ministre bourgeois Roland qui se présentait devant la cour avec des souliers sans boucles : Ah ! monsieur, tout est perdu ! » Ces mêmes bourgeois songèrent peut-être plutôt à une scène du Palais-Royal, le jour où ils apprirent que le même citoyen maire avait été arrêté par son propre commissaire de police pour tapage nocturne. Aux lettrés, la municipalité de Roubaix rappellerait la comédie d’Aristophane, les Chevaliers, peinture inoubliable de la domination de la plèbe, de l’Ochlocratie. Aussitôt élus, nombre d’édiles s’établirent mastroquets[1], à l’enseigne des Trois-Huit, de l’Union sociale, de la Femme sociale, etc. La Brasserie sociale du citoyen Carrette est le théâtre de l’avènement au pouvoir d’une nouvelle couche de politiciens, les politiciens de cabaret, succédant aux politiciens de café. C’est dans une buvette, avoisinant la mairie, que se tiennent les conciliabules et que se préparent les votes. Les nouveaux maîtres de l’Hôtel de Ville semblèrent au début assez embarrassés de leur conquête. Ils conservèrent l’ancien secrétaire qui possédait l’expérience et la pratique des affaires courantes. Puis il fut remplacé par un avocat, M. Chabrouillaud, que M. Guesde alla quérir à Limoges. On désignait communément M. Guesde comme le véritable maire de Roubaix.

La municipalité de Roubaix est fière de ses œuvres d’assistance ouvrière. Elle a doublé la dotation des établissemens de bienfaisance, depuis 1892, établi des cantines scolaires, donné des pensions aux indigens, organisé des fourneaux économiques, réservé des fonds pour le rapatriement des ouvriers. Elle a édifié une cité des veuves qui se compose de trente-cinq maisons, distribué des vêtemens, des layettes municipales, fondé des crèches municipales. Près de deux mille enfans ont été envoyés à l’hôpital maritime du sanatorium de Saint-Pol. Il existe des bains municipaux, des étuves municipales. La mauvaise volonté de l’administration centrale n’a pas permis d’établir une pharmacie municipale, mais une puissante société coopérative, la Paix, fournit des médicamens à bon marché.

Un social-démocrate allemand, qui visitait Roubaix en 1897, parlait avec admiration des établissemens scolaires. La commune, disait-il, nourrit, vêt les enfans, et se met ainsi à la place de la

  1. Enquête de M. Huret sur la Question sociale.