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de statique qu’il était est devenu dynamique ; il n’est plus dans l’être, diraient les Allemands, il est dans le devenir. Lassalle estimait autrefois qu’il faudrait deux cents ans pour opérer la transformation de la société capitaliste en société collectiviste : les Fabiens qui ont emprunté leur nom à Fabius Cunctator, le général patient, se montrent encore moins pressés. Le socialisme, disent-ils, n’est que le côté économique de la démocratie, la conséquence de la grande industrie. Pas plus qu’à la démocratie, on ne saurait lui assigner un commencement précis, un aboutissant définitif. Comme la démocratie il est appelé à un essor irrésistible, à un progrès continuel. Pour que le socialisme se développe, il suffit que la législation et l’administration se trouvent entre les mains et sous le contrôle de la démocratie, et c’est ce que nous voyons partout se produire. Le parti libéral tend à se rapprocher de plus en plus des masses populaires, comme l’avait prédit Gladstone dès 1885, et à s’imprégner de leurs aspirations, d’une façon plus ou moins consciente. Le changement est moins encore, jusqu’à présent, dans la machinerie du gouvernement, que dans l’esprit selon lequel cette machinerie est conduite. Même sans qu’il soit besoin de la petite armée des socialistes avancés, le socialisme s’infiltre, se répand par endosmose, permeation, dans tous les domaines de la pensée et de la vie publique.

On parle du socialisme de l’avenir. Nous y sommes plongés dans le présent ; M. Sidney Webb le reconnaît à ces signes indiscutables : la restriction croissante de la propriété privée, par suite des règlemens du travail et des exigences de la police sanitaire. L’État surveille et dirige les fonctions industrielles qu’il n’a pas absorbées : la substitution graduelle des entreprises publiques aux entreprises privées en ce qui concerne l’eau, le gaz, les tramways ; au lieu d’affermer, la communauté exploite : les villes acquièrent des propriétés urbaines pour y établir des logemens ouvriers : la croissante absorption de la rente du capital et même du talent personnel, par l’élévation des impôts, — cette municipalisation croissante de la rente, par l’augmentation des taxes locales n’est qu’une forme préparatoire d’une nationalisation du sol ; — la substitution de l’assistance publique à la bienfaisance privée, pour le relèvement des classes inférieures.

Le courant est si puissant que l’économie politique elle-même a dû cesser de résister, et que les économistes se bornent à conseiller la modération et à recommander la circonspection. Les