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les modérés sont au nombre de quarante-huit, les socialistes n’ont conquis qu’une dizaine de sièges. Leur parti s’attribue, comme une application de leurs théories, ce qui est simplement la conséquence générale du mouvement démocratique et social de notre temps, qui ne s’accorde avec leur point de vue que d’une façon très limitée.

Mais il existe une école, une doctrine socialiste, dite des Fabiens, qui n’est pas organisée en parti, qui, se recrute principalement parmi les intellectuels de la bourgeoisie cultivée, sous la direction d’un esprit éminent[1], M. Sidney Webb, qui attribue à l’œuvre effective des municipalités une importance considérable. Assurément, disent-ils, au point de vue des collectivistes purs, les transformations accomplies dans l’administration de la commune semblent bien insuffisantes. Le mot socialiste est peut-être encore trop pour la chose. Mais ces commencemens, si modestes qu’ils puissent paraître, marquent le point de départ d’une évolution considérable, dont on a peine à imaginer les phases ultérieures, voire prochaines. La tendance générale d’exclure les entreprises privées pour les grands travaux, tels que le gaz, la distribution de l’eau, les tramways, etc., peut dépasser de beaucoup le cadre actuel. Mieux que l’Etat, qui agit sur une trop vaste échelle, les communes sont des corps sociaux propres à prendre l’initiative de changemens à longue portée. Elles peuvent se transformer insensiblement en coopératives, prendre la direction d’une partie de la production et de la vente des produits. Elles produisent et vendent du gaz : pourquoi ne fabriqueraient-elles pas et ne vendraient-elles pas du pain ? pourquoi n’écarteraient-elles pas, dans l’intérêt du public, les abus crians des boulangeries privées ? Par l’impôt, enfin, les communes peuvent intervenir d’une façon très efficace dans la répartition des richesses. Ce n’est pas dans ce qui est, mais dans ce qui sera que gît le sens véritable du socialisme municipal.

Selon les Fabiens, ce changement n’est pas destiné à s’opérer par une révolution, par un coup de théâtre, par une organisation subite, comme le croient les socialistes du continent, qui se plaisent, comme Engels, Bebel, Jaurès, Guesde, à fixer des dates prochaines, et qui, bien qu’ils parlent d’évolution, en sont restés aux utopies surannées, aux Icaries et aux Phalanstères. L’idéal socialiste,

  1. Voir Socialism in England, par Sidney Webb, 2e édition.