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lonel Binger, « il y a lieu de ne pas le livrer immédiatement à lui-même[1]. » Il faut encore l'habituer à l'épargne et c'est pourquoi le gouverneur de la Guinée française, M. Ballay, a créé une caisse, où les captifs de case versent le pécule amassé par leur travail, et dès qu'il a atteint un chiffre modéré (200 à 300 francs), cette somme est remise au maître de l'esclave qui lui délivre un certificat de liberté.

Il reste encore un pas à faire, il faut marier l'affranchi, car c'est seulement alors qu'il y aura espoir de lui faire perdre ses habitudes vagabondes et de l'attacher au sol et à la colonie. C'est la méthode que nos gouverneurs militaires et les missionnaires ont suivie avec succès. Le général de Trentinian, au Soudan français, a posé la règle de délivrer un certificat de liberté à tout captif réfugié qui, au bout de trois mois de séjour, n'était pas réclamé à bon droit. Quant aux captives libres, on favorise leur mariage avec des tirailleurs indigènes, moyennant 30 francs versés à la caisse du village. S'il s'agit d'enfans d'esclaves, on les confie, munis d'un certificat, à des négocians européens ou indigènes deBammakou, Kayes ou de Saint-Louis, à titre d'apprentis. Une fois majeurs, on les déclare libres et on leur laisse le choix de rester ou de retourner au pays natal[2].

Ici, nous rencontrons la question de la polygamie, sur laquelle les missionnaires ne sont pas d'accord avec les administrateurs civils ou militaires. Deux choses sont également certaines : l'affranchissement et le relèvement moral de la femme sont étroitement liés à la question de polygamie et, si l'on supprimait d'emblée celle-ci, on jetterait sur le pavé, — je me trompe, sur le sable du désert, — une foule de pauvres femmes qui ont des droits acquis et qui auraient le sort d'Agar et d'ismaël. Il serait donc inhumain d'obliger un noir polygame à renvoyer toutes ses femmes, sauf une. Cela, d'ailleurs, équivaudrait à la désorganisation du ménage noir et se heurterait à la liberté laissée sur ce point par le Coran.

Le parti le plus sage me paraît être de respecter le statut personnel des indigènes, en matière de mariage, c'est-à-dire de tolérer le mariage musulman, dans nos possessions d'Afrique, de même que nous reconnaissons le mariage bouddhiste ou confucéen

  1. Binger, Esclavage, islamisme et christianisme, p. 81.
  2. Voyez le Rapport du général de Trentinian au ministre des Colonies, 29 janvier 1897.