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représentans de la presse, de rendre populaire cette sainte cause. Cet appel fut entendu, et les grands journaux de Paris, le lendemain, commentèrent son discours avec éloges. Puis, sachant que la Grande-Bretagne avait été la première à abolir la traite et l’esclavage, il se rendit à Londres et y prit la parole dans un meeting, présidé par lord Granville, ancien chef du Foreign Office et auquel assistait l’élite de la société anglaise (31 juillet). C’est dans cette réunion que Mgr  Lavigerie proposa pour la première fois au public l’idée d’un concert des puissances pour sauver l’Afrique du fléau qui la ruine. Prenant texte des paroles de lord Granville, qui avait rappelé que toutes les nations de l’Europe au Congrès de Vienne (1815) et à la Conférence de Vérone (1822) s’étaient solennellement engagées à ne plus tolérer le trafic des esclaves, il ajouta : « Aujourd’hui les principales nations de l’Europe ont, par un consentement commun, reconnu et proclamé leurs droits présens et futurs sur l’Afrique. Elles ont, dès lors, des devoirs vis-à-vis d’elle. Et le premier de ces devoirs est de ne pas laisser cruellement détruire la race indigène et fermer de nouveau, en la transformant en désert, la terre, que les explorateurs ont ouverte à la civilisation. » L’assemblée vota des résolutions conformes, sur la proposition du cardinal Manning qui assistait au débat. Après cela, le nouveau Pierre l’Ermite alla prêcher sa pacifique croisade à travers toute l’Europe : à Bruxelles (18 août), à Fribourg-en-Brisgau[1] (28 août), à Rome, Naples et Milan (novembre) ; et partout sa parole ardente et convaincue fit des recrues pour cette noble cause. Et quand il ne pouvait aller parler en personne, il écrivait ; c’est ainsi qu’il n’hésita pas à adresser une lettre à Bismarck, lui demandant, comme signataire de l’acte de Berlin (1885), de travailler à établir un concert entre les États de l’Europe, qui avaient été représentés à ce Congrès, afin de faire cesser la capture et la vente des esclaves. La lettre fut communiquée au Reichstag par le chancelier de l’Empire allemand et agit efficacement sur ce parlement. La Suisse, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche répondirent aussi bien à ses appels, et le premier résultat fut la création de sociétés anti-esclavagistes dans toute l’Europe : à Paris, à Bruxelles, à Cologne, à Vienne, à Bome, à Madrid, à Lisbonne. Avant de s’embarquer à Marseille pour retourner à Tunis, Mgr  Lavigerie précisa nettement le but à poursuivre dans une lettre à

  1. Voyez abbé Klein : le cardinal Lavigerie et ses œuvres d’Afrique, Paris, 2e  éd., 1898.